Introduction 

Une silhouette apparut dans la pénombre chargée de brumes. C’était une fée merveilleuse aux longs cheveux foncés et nattés, qui s’avançait dans la nuit. 
Elle embrassa l’enfant qu’elle tenait contre son cœur, emmailloté dans des linges soyeux, en lui chantant une comptine légère. Elle posa sa fille dans le couffin de saule blanc que lui avait offert le lutin Calliste, la semaine précédente. 
Elle attacha ensuite à l’une des poignées du berceau une bourse de cuir violacé dans laquelle un collier étincelait de magie. Elle couvrit l’enfant endormie d’une couverture de laine et saupoudra son front de baisers et de larmes. 
Enfin, la Reine des fées déposa le couffin à la devanture de la maison des humains les plus honnêtes qu’elle eût pu observer durant les derniers jours. 
Puis, dans un nuage de larmes, elle disparut, ne laissant derrière elle qu’une lumière étoilée. 

C’est aux côtés de Merlin qu’elle refit son apparition quelques instants plus tard, dans la forêt. Elle adressa un sourire triste au magicien encapuchonné d’une cape aux couleurs de nuit. Cela faisait déjà dix lunes que Renaud était mort. Dix lunes qu’elle avait construit un Royaume secret avec l’aide du magicien. Ils attendaient un arrivage de nains et de gnomes qui désertaient la forêt et venaient s’associer à eux, contre les forces du mal. Ils venaient rejoindre d’autres membres du petit peuple qui s’étaient alliés et avaient décidé de se cacher des Hommes. 

Le Royaume d’Héoliadenn était le lieu le plus sûr qu’elle avait pu proposer aux peuples magiques, pour les protéger. 
Mais elle savait que le Mal était prêt à frapper à nouveau. Elle l’avait déjà vaincu une fois et elle sentait sa présence. Elle avait tout prévu. Elle avait caché le trésor des quatre frères et mis sa fille, sa chère fille, à l’abri dans une famille d’humains. Les fées sauraient s’en sortir sans elle, en suivant ses instructions. Après avoir fait entrer les nains et les gnomes dans le Royaume, elle se rendit sur les ruines du château, poursuivit son chemin le long de la rivière frémissante et se laissa tomber sous l’arbre où elle avait aimé Renaud. 
Le fruit de leur amour était la clé de l’inéluctable bataille qui opposait le Bien et le Mal. Seul le fruit de leur amour pouvait sauver le peuple magique et l’espèce humaine. 
Elle, ne le pouvait plus. 
Elle avait cessé de vivre lorsqu’elle avait perdu son éternel amour. Oh ! Dieu qu’ils s’étaient aimés… Elle ne pouvait vivre sans lui. 
Elle avait rassemblé ses dernières forces pour protéger son peuple, mais elle était épuisée. Elle posa son dos contre l’écorce drue, laissa errer son regard au rythme des branches noires et versa des larmes chaudes. Elle ferma les yeux une dernière fois et son cœur s’envola vers les étoiles. 
La Reine des fées, Câliniah, rejoignait son amour.

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 Chapître 1: Un matin de septembre

                                                                 Un matin de septembre. Oui, c'était un beau matin de septembre que Lina était arrivée en trombe dans la cuisine carrelée de blanc.
Elle avait entendu son père et sa mère pleurer, hurler, douter.
Elle avait entendu son père et sa mère se séparer.
Elle avait entendu ses rêves d'enfant se briser telle une pile d'assiettes grises. Elle avait vu. Et n'aurait pas dû voir. Ça fait mal. Ça déchire le cœur de voir les personnes que l'on aime le plus se froisser.

- Maman ? Papa ?
- Oh ! Ma Linou...

Sa mère s'était jetée sur elle, en pleurs. Son père l'avait serrée dans ses bras. C'était la première fois qu'elle le voyait pleurer. Il retenait toujours ses larmes au fond de lui. Il avait déjà dû pleurer avant, mais elle était sans doute trop petite pour le percevoir.
Soudain, elle se souvint que sa mère lui avait raconté une drôle d'histoire, quelques jours auparavant. Mais elle n'y avait pas pris garde. Sa mère l'avait serrée sur sa poitrine : « Lina, j'ai une histoire à te raconter : un jour, un petit garçon, Arthur, avait demandé à son papa pourquoi sa maman était partie. Le papa avait répondu simplement qu'ils ne s'aimaient plus. Dans ce cas, il vaut mieux être séparés et heureux. 

- Et Arthur ?
- Il était heureux, lui aussi, de ne plus voir pleurer sa maman et partir son papa. »

Lina s'écria alors : « VOUS ALLEZ DIVORCER !!! »
Il n'y avait eu besoin d'aucun mot. Trop de complicité et d'amour les unissaient ou les avaient unis. Un seul regard qui s'éteignit dans une dernière étreinte baignée de larmes.

C'est ainsi que commence notre histoire, un beau matin de septembre quand Baptiste et Claire décidèrent de se séparer.
Baptiste garderait leur appartement citadin, moderne. Cet appartement qu'ils avaient aménagé ensemble. Couleurs froides, mobilier contemporain.
Il était situé Rue Forgeur, à Liège, près du port des yachts. Le dimanche, ils allaient à la bâte acheter des fruits et des légumes tout frais et allaient jouer à la pétanque le long de la Meuse.
Baptiste devait, en effet, rester à proximité du réseau autoroutier car il était responsable d'une chaîne de magasins de jouets très connue. Ce qui était très chouette pour Lina, car depuis sa tendre enfance, elle testait les prototypes d'une multitude de jouets. Elle était, selon elle, le cobaye d'une expérience utile à chaque enfant et vraiment cool... pour elle !
La chaîne connaissait un grand succès et Baptiste était souvent absent. Il adorait son travail et usait de pédagogie et de patience pour trouver ce qui plairait aux enfants, et bien sûr, ce qui rapporterait de l'argent à la firme.
Lina n'avait pas trop compris si son papa était tombé amoureux de son travail ou d'une autre femme.

Claire, la maman de Lina, était illustratrice et auteure de livres pour enfants. Vous pourriez penser que Lina avait eu une enfance de rêve... une maman et un papa qui testaient tous leurs produits sur elle... elle devait être gâtée !
Mais non. Elle était gâtée de tendresses, de doux câlins, de mots magiques et de mondes imaginaires.
« Tu dois toujours dire ce que tu as sur le cœur, ce qui est coincé au plus profond » lui disait sa maman.

Claire était originaire des vertes Ardennes.
Elle avait suivi son amoureux à la ville pour qu'il puisse travailler allègrement. 
« Si tu écris à la campagne ou à la ville, c'est le même travail... Tu n'as pas besoin d'être à la campagne » lui avait dit Baptiste. 
A ce moment, cela lui avait semblé être une évidence, une preuve d'amour que jamais elle ne regretterait. Ne dit-on pas « vivre d'amour et d'eau fraiche » ? Pour Claire, c'était cela, la vie : vivre d'amour.
Jusqu'à ce jour triste où un mot doux d'amante était tombé de la poche de son époux. Puis, elle avait compris qu'il n'y avait pas que les rêves... 
Il y avait l'argent, les assurances, le travail, les responsabilités obligatoires,... les contraintes. Il y avait le bonheur aussi, puis parfois, la trahison.
Baptiste l'avait trahie alors qu'elle se voyait avec lui jusqu'à ce que ses dents tombent... jusqu'à ce que ses cheveux blanchissent...
Mais, on ne sait pas toujours tout prévoir. La vie en avait décidé ainsi : Claire partirait avec leur fille, et Baptiste resterait à Liège.

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 Chapître 2: la fermette de pierres grises.

 

(...)C'est pourquoi elle ne disait mot sur le trajet qui les emmenait à Emblève. Elle tenait serrée sur son cœur son chat, Blue, un chartreux affectueux et intelligent... c'était la seule « chose » liégeoise qu'elle emportait avec elle, hormis ses vêtements et effets personnels. Sa mère avait préféré acheter un nouveau mobilier.
Et puis, de toute façon, elle retournerait voir son père à l'occasion... les week-ends !
Claire prit la sortie « Aywaille-Remouchamps », puis à droite en direction du centre ; en passant devant l'église de Dieupart, elle dit « C'est ici que mes parents sont enterrés », Lina ne les avait pas connus. Après le centre d'Aywaille et le pont qui enjambait l'Amblève, elle emprunta une petite route à gauche. Le chemin était en hauteur. Sur la gauche, une plaine bordant l'Amblève, avec ses saules pleureurs qui léchaient les vaguelettes, sur la droite, une colline verdie par les feuilles de fin d'été. De rares maisons s'élevaient de part et d'autre de la route. Puis, juste avant les bois, Claire braqua à droite, pour entrer dans une cour caillouteuse.
Lina ne se souvenait pas de la maison grise d'Emblève. Elle s'en était fait une représentation bien à elle, selon les souvenirs que lui avait confiés sa maman, lors de ses fabuleuses histoires du soir.
C'est pourquoi lorsqu'elle passa sous le portail de pierres, elle fut surprise de constater l'exactitude des mots de sa maman... ils étaient justes, fins et précis.

La cour intérieure sur laquelle s'ouvrait la grille rouillée, la partie principale à la lourde porte d'entrée en chêne, la grange, remplie de paille et de foin sur la droite, le vieux puits au milieu de la cour, l'immense préau sur la gauche, tout recouvert de lierre ... Tout y était !
Son cœur battait la chamade...
Cet endroit était magnifique !
Il était tel qu'elle l'avait toujours imaginé ! Elle vit sa mère tout émue de ces quelques pas, ensemble, dans la cour. Claire avait demandé à une ancienne voisine de nettoyer la bâtisse, un fermier du coin s'était chargé des entretiens réguliers, et Claire avait suivi les travaux nécessaires de Liège.
(...)Elles passèrent l'énorme porte de chêne brut, pourvue d'un minuscule judas. La première chose qui frappa Lina fut l'escalier qui menait à l'étage.
Un escalier de bois, en colimaçon...
Elle décida de visiter le rez-de-chaussée en premier lieu, laissant cette spirale de chêne pour plus tard.
La porte s'ouvrait sur un corridor au sol couvert de pierres bleues. Dans ce corridor, deux portes. Une à gauche, l'autre à droite. Et au milieu, le fameux escalier.
Lina franchit la porte de gauche : une immense bibliothèque faisait le tour de la pièce. La bibliothèque était de bois massif et contenait, du sol au plafond, des livres de tout âge : on comprenait la passion de Claire pour l'art littéraire! Il y avait même un coin bd : la passion de Lina. Dans un autre coin, étaient conservés chacun des livres qu'avait écrits Claire... une bonne intention des voisins, sans doute. Bref, une pièce chaleureuse recouverte de tapis anciens aux couleurs fanées. Il y avait tant de livres qu'il était presque impossible d'apercevoir la couleur des murs.
(...)
Claire accompagna ensuite Lina dans la cuisine, carrelée d'orange et meublée à l'ancienne. Une grosse cuisinière d'un blanc crème régnait en maître dans cette pièce où il faisait bon vivre.
Une table en chêne surélevée entourée de trois tabourets d'inox trônait au milieu de la pièce. Un plan de travail se trouvait sur le côté droit et au-dessus, des étagères de bois chargées de vaisselle et d'épices, une fenêtre au-dessus la cuisinière ouvrait sur le jardin.
Claire avait tout fait aménager par téléphone... vive l'ère de la communication ! Un subtil mélange d'art rural et contemporain. Des cartons de vaisselle traînaient un peu partout.

- Alors ma chérie, tu aimes ?
- Jusqu'ici, c'est super. Ça change de l'appart !
- Attends, tu n'as pas encore vu le plus beau !

En effet, la cuisine amenait à une pièce confortable.
Il fallait descendre trois marches pour y accéder. Les fauteuils jaunes en « L » encadraient un feu ouvert entouré de pierres grises ; un peu plus loin, la télévision, et puis, sur la gauche, une baie vitrée accueillait la table de chêne entourée de huit chaises de Herve.
Il y avait un buffet de style Louis-Philippe et de multiples plantes vertes. La baie vitrée laissait apercevoir le jardin, fermé à l'arrière par la falaise rocheuse. Un jardin sauvage où Claire avait passé toute son enfance.
Les plantes vivaces et grasses côtoyaient avec harmonie des pensées et des rosiers.
Les capucines s'étalaient afin de ne pas échapper aux regards.
Lorsque Lina passa la porte vitrée, ses narines furent affolées par les odeurs mêlées de la lavande et du chèvrefeuille.
Le jardinet était adossé à la falaise et de l'autre côté du chemin, plus loin dans la plaine, on entendait l'Amblève frémir.
Au fond du potager, derrière les fleurs, on pouvait toucher la pierre du bout des doigts.
Le lierre escaladait la paroi rocheuse et accédait au petit bois...

- Je n'en reviens pas M'an. Pourquoi n'est-on jamais venus ici ?
- Oh, on venait quand tu étais petite. Tu jouais dans l'eau, là-bas. Et puis, trop de boulot. Pour ton père comme pour moi. Lorsqu'on se laisse envahir par le quotidien, le temps passe vite. Regarde-toi : tu as déjà douze ans...
- Oui, ben, ici c'est super en tous cas.
- Tu viens voir l'étage ?

Elles retournèrent à l'intérieur de la fermette.
Lina passa la première, et monta les marches de l'escalier tournant quatre à quatre.
Elle pénétra sur le palier éclairé par une unique fenêtre. A gauche, une porte menait à la salle de bain bleue au plancher de sapin. Une baignoire sur pieds, un évier de craie blanche et un bidet. Un rideau de tulle blanc pour éviter d'être vu du dehors. Encore des cartons...
Lina poussa la porte de droite et découvrit un couloir étroit aux multiples fenêtres.
La première porte s'ouvrait sur la chambre de Claire. Un lit de fer forgé et un tapis à fleurs : c'était l'unique pièce qui n'avait pas changé depuis son enfance. Une garde robe massive enfermait tous les habits de Claire et Lina reconnut cette odeur particulière à sa mère. Une coiffeuse chargée de flacons et de boîtes de poudre de riz, et évidemment une bibliothèque.
Toujours des cartons...
La porte suivante amenait à la chambre de Lina.
Une pièce claire et non aménagée. Seul un lit double et une table de bureau siégeaient dans la pièce.

- Je n'ai rien commandé pour toi. J'ai préféré que tu sentes l'atmosphère de l'endroit pour te créer ta chambre à toi.
- Merci...

Lina venait d'apercevoir le mini balcon duquel elle pouvait contempler le jardin et se perdre dans la profondeur de la masse schisteuse devant elle. Deux chambres d'amis et une petite pièce se situaient dans le fond du couloir. Celle-ci ferait office de buanderie, car les caves de la maison étaient fort humides.

Il y avait encore le grenier, mansardé.

Lina avait fait le tour du propriétaire, Blue, tout ronronnant, collé à ses basques.
Elle ne savait pas pourquoi, elle avait le sentiment que c'était bien ici, sa véritable demeure. Elle allait se plaire. Et faire de merveilleuses découvertes. Elle en était sûre.
Sa mère lui avait si bien décrit l'endroit, qu'elle en avait créé des souvenirs précis...

Mais alors, serait-il possible que... ?
Non, ces histoires n'existent que pour les enfants, ce sont des légendes que sa mère s'était appropriées pour faire son succès. Lina, réfléchis, enfin ! Une grotte sous la maison ? Un royaume féérique et un trésor caché ? Non, c'est impossible.

Le temps passait vite. Après avoir mangé le plat préparé par la voisine, Lina et sa mère montèrent se coucher. Journée fatigante et riche en émotions. De grands changements.
Et le lendemain, Lina s'inscrirait à l'école, à l'Athénée Royal d'Aywaille.
Prendre une année scolaire en cours...
Elle appréhendait ce moment. Heureusement, septembre n'était pas encore à son terme et Lina était bonne élève. Le seul hic : elle perdait ses amis.
Les élèves d'ici seraient-ils sympas ? La trouveraient-ils chouette ?
Sur ces interrogations, elle s'endormit, Blue dans son cou.


 

 

Dans le chapître 3: La rentrée en retard, Lina rencontre sa nouvelle école et sa nouvelle amie: Anaëlle, qui partagera ses aventures.

Avant de se lancer dans le chapître 4: La découverte où elle va commencer son épopée:

Sa mère avait dit vrai : elle se sentait citadine avant tout. Mais, elle ne savait pourquoi, son esprit semblait attiré par cette verdure. Elle avait dormi paisiblement pour la première fois de sa jeune vie. Sans bruits de voitures ou de sirènes. Avec le seul bruissement des dernières feuilles et du vent. Une bonne atmosphère régnait ici. Elle le sentait et se sentait bien.

Elle était à l’affût de la moindre petite trouvaille merveilleuse comme l’éclat bleuté qui avait traversé le jardin ce matin.

La maison reposait dans une large vallée de prairies vertes parsemées de feuillus centenaires. Hêtres, chênes, bouleaux, noisetiers, érables…

L’Amblève, traçant son chemin dans la terre, clapotait gaiement.

La masse rocheuse qu’elle longeait, était une colline acérée qui tombait à pic dans la vallée.

Elle avançait toujours lorsqu’elle rencontra un sentier serpentant dans le bois qui jouxtait la roche grise.

Après avoir marché un bon kilomètre, Lina emprunta le chemin qui s’offrait droit devant elle. Il était plein de racines, mais elle avançait sans difficultés. La nature semblait l’aider dans son ascension.

Elle s’accrochait aux pins ou aux branches des chênes. Les glands et les épines craquaient sous ses pieds.

Un geai des chênes signala son entrée dans le territoire des animaux.

Line leva les yeux et admira les couleurs bleutées des ailes de l’oiseau. Mais, son regard s’arrêta sur un bloc de pierres sombre.

Un haut mur s’élevait sur sa gauche. Elle n’avait pu le voir, car le sentier l’emmenait vers la droite, comme pour l’inviter à visiter son propre jardin d’en haut.

Curieuse, Lina quitta le sentier et se rendit au pied du mur. Elle découvrit d’autres murs, des tourelles et des tours, qui formaient un château en ruines, recouvert de ronces, de lierre et de lichen.

Elle arriva face à un porche de pierres encore intact par où devaient pénétrer de rares promeneurs. En effet, Lina aperçut des panneaux décolorés avertissant contre les chutes de pierres.

« Rassurant… » 

Elle n’avait jamais entendu parler de ce château mystère. Elle n’avait jamais vu que, si elle continuait  la route principale du village, elle aurait pu observer la haute tour et les murs de soutènement qui dépassaient des arbres, tendus vers le ciel.

Elle escalada prudemment la plus haute tour et arriva au point le plus élevé.

Le château faisait corps avec la colline. Il était presque impossible de dire où finissaient les murs et où commençait la roche.

Lina observait. Elle se dit que les seigneurs qui avaient habité cet endroit avaient dû défricher la colline pour déjouer les attaques de leurs ennemis.

Elle fit un bref tour du propriétaire. Malgré la nature qui reprenait ses droits, le château était toujours bien là. Quelques pièces étaient encore visibles, les meurtrières bien solides permettaient de guetter les arrivées. Le mur d’enceinte était conservé à merveille. Un beau pan de mur du donjon laissait apercevoir une cheminée qui avait noirci les pierres. Le château avait été construit sur une roche imposante. La vue qui s’offrait à Lina de ce point était magnifique en ce début de crépuscule d’automne qui colorait d’or l’Amblève et sa vallée. Les prairies qui la longeaient s’épanouissaient dans la clarté du soir naissant. Quelques propriétés majestueuses s’offraient aux regards avec leurs terrains de tennis. Sur la droite, une usine où l’on travaillait la pierre.

Il y avait une sorte de cave creusée dans la roche et munie d’une seule ouverture, on devait y conserver la viande ou la glace.

Tandis que son esprit vagabondait à l’époque des seigneurs et des chevaliers, Lina passa sous un porche encore entier et se rendit dans l’autre aile du château où les murs léchaient fièrement le ciel. La basse cour donnait sur la cuisine avec une autre cheminée qui avait dû voir des mets rôtir et embaumer tous les environs.

Lina était émerveillée…Mais pourquoi sa maman ne lui avait-elle pas parlé de ce magnifique domaine ? Connaissant son goût pour les aventures en tout genre, elle aurait pu lui en toucher un mot…Sur ces réflexions, Lina s’aperçut que la nuit tombait : il était temps de rentrer à la maison.

Quarante minutes plus tard, elle était de retour dans le salon, une bonne odeur de potée aux carottes épicée au thym  accompagnée de saucisses lui chatouilla le nez.

-          Maman, je suis là !

-          Ah, juste à temps… le souper est prêt ! Et bien, ma puce, tu es dans un bel état !

Lina ne s’était pas rendu compte que les genoux de son jeans était boueux et que son sweater était maculé de mousse verte et de terre.

Ses chaussures étaient trempées, et ses mains éraflées en plusieurs endroits.Elle avait tellement réfléchi et tellement désiré découvrir des mystères qu’elle n’avait rien senti.

-          Euh… oui ! Je me suis bien dépensée…

Elle fila dans sa chambre, entreprit une brève toilette et sauta dans son pyjama de pilou.

Elle descendit : son ventre criait famine et les odeurs l’avaient affolé.Elle aida Claire à dresser la table, dans la cuisine. Elles s’assirent l’une en face de l’autre. Lina ne pouvait pas s’empêcher de penser que c’était bizarre de manger ainsi, en tête à tête avec sa maman. Il manquait quelqu’un à sa droite, pour former le triangle parfait qu’ils formaient avant.

Elle commença à manger sur un simple « bon appétit » rituel, plongée dans ses souvenirs familiaux.Quelques minutes suffirent pour que son estomac, rempli, la détende et lui permette de se concentrer sur ce qui l’intriguait réellement aujourd’hui.

-          Maman…

-          Oui ?

-          J’ai marché assez loin, aujourd’hui, en longeant le rocher. Je suis arrivée à un sentier et puis j’ai découvert un château en ruines.

-          C’est le château d’Emblève. Le château des quatre fils Aymon.

-          Les quatre fils Aymon ? Mais je pensais qu’ils étaient originaires de Dinant ?

-          Oui, mais ils sont venus vivre ici également. Le château aurait été construit au dixième  siècle et détruit au seizième. Tu veux que je te raconte ?

-          Oh oui alors ! Tu aurais pu le faire avant !

-          C’est un endroit dangereux où plus personne ne va maintenant.

-          Pourquoi ?

-          Une chose après l’autre. D’abord l’histoire.

-          Ok.

Chapître 5: La légende. 

Claire commença :

« Il était une fois - C'est ainsi que commencent toutes les légendes, je continue – quatre frères qui s’appelaient Renaud, Richard, Alard et Guichard Aymon. Ils étaient jeunes et s’entendaient à merveille. Ils habitaient dans le château d’Emblève à la cour de leurs parents. Leur père était un haut baron très riche. Les quatre frères étaient dotés d’une intelligence exceptionnelle et d’une force physique hors du commun. De plus, ils étaient généreux et tout le peuple les chérissait.

Inséparables, ils se promenaient à cheval pendant d’innombrables heures, à la découverte de la nature et de ses secrets. On raconte qu’ils étaient amis des fées protectrices de la forêt et des gens de bien. En ce temps-là, on dit que le petit peuple vivait en communion avec les humains.

Afin de les établir dans leur situation, leur père décida de les mener à son suzerain.

Le baron espérait en effet, que ses fils appartiennent à la cour du Seigneur et deviennent ses chevaliers. Ils se rendirent donc au château du souverain.

J’ai oublié de te dire que les quatre frères Aymon avait un cousin, Mauguis, qui, dit-on, était enchanteur et manipulait la magie blanche. Quelques jours avant ce départ, Mauguis vint à la cour du baron, vêtu de sa cape vert-mousse, tenant dans sa main droite un bâton aux formes anguleuses, et dans l’autre une fine lanière d’or et de cuir. Il demanda à voir les quatre fils en privé. Renaud, Richard, Guichard et Alard se présentèrent à lui.

Il leur annonça qu’il avait vu leur fin très proche. Il leur confia la lanière d’or et de cuir au bout de laquelle se tenait un cheval magnifique, de couleur bai, presque doré. Magnifique, mais aussi magique. Il était énorme, mais pour les non initiés, il semblait invisible. Il s’appelait Bayard et était immortel.

Il leur remit aussi un coffre rempli d’objets magiques. Il donna à Renaud une armure d’un alliage léger: « elle parera aux attaques de l’enfer ». Il passa une lance à Richard : « elle attirera le vent de Dieu ». Il remit un bouclier à Guichard : « il est fait d’un métal indestructible, il te protégera de toutes les pluies». Enfin, il donna une épée digne d’exalibur à Alard « celle-ci ne se brisera jamais. »

Il y avait également une armure d’argent pour chacun des quatre frères.

Le cheval, leur dit Mauguis, volerait toujours à leur secours ; à condition de le chérir et de bien le soigner.

Les frères étaient quelque peu inquiets, mais ils oublièrent vite les prédictions de leur cousin, lorsque l’heure du départ arriva. Ils se rendirent au château de leur futur Seigneur, tous  les quatre sur le dos du cheval bai.

C’était un jour de Pentecôte lorsqu’ils pénétrèrent dans la ville de Paris.

Les présentations furent faites.

Le baron Aymon n’était que fierté pour ses fils, car ils étaient acceptés à la cour su souverain le plus puissant où ils suivraient une formation pour être chevaliers. Le baron retourna dans son château vanter les mérites de ses fils.

Mais, il ne savait pas qu’à Paris, les événements se gâtaient. En effet, Renaud se disputa avec Bertolay, le neveu du Seigneur, après une partie d’échecs où celui-ci avait perdu. Renaud se battit durement et tua Bertolay en l’assommant avec l’échiquier de marbre blanc.

Après cette bataille, Renaud s’enfuit avec ses trois frères sur le dos de leur protecteur. Celui-ci allait bien plus vite que tous les autres destriers que Charlemagne avait lancés à leur poursuite. Ils allèrent se réfugier dans les Ardennes qu’ils connaissaient comme leur poche, espérant rentrer chez eux.

Malheureusement, le Baron refusa d’accueillir ses fils bien aimés, choisissant de rester fidèle à son suzerain qui avait promis de ruiner et de lapider les traitres. Les enfants, déçus, se cachèrent dans la forêt que tu as vue tout à l’heure.

Ils se cachèrent un temps parmi le petit peuple. La reine des fées, Câliniah, s’éprit de l’un des frères, et leur apprirent à se camoufler dans la nature et à se rendre presque invisibles.

 

Mais les soldats de l’oncle endeuillé finirent par rattraper leur retard et encerclèrent le château qu’ils mirent à mal, croyant que le Baron Aymon mentait.

Ils fouillèrent le château sans succès puis commencèrent à incendier les arbres et la nature environnante. Les fées et les elfes refusèrent ces actes et supplièrent les frères Aymon de les quitter et de s’enfuir. Le château fut réduit en cendres.

Renaud embrassa sa bien-aimée et prit la route avec ses frères.

Les soldats découvrirent, trop tard, l’endroit où se cachaient les quatre frères mais ne purent voir les fées, car elles étaient invisibles pour eux.

Ils poursuivirent les quatre frères puis les aperçurent, sur leur cheval Bayard, qui les attendaient, au dessus des ruines fumantes du château.

Le Seigneur, croyant qu’il allait enfin mettre un terme à cette poursuite, envoya ses meilleurs chevaliers à l’assaut. Les flèches enflammées filaient en direction des frères.

Mais, redoublant de ruse, Renaud se fit bouclier humain, son armure éteignant les flammes et élança Bayard dans le vide. Celui-ci, força de tout son poids sur ses sabots arrière. Et depuis, on peut voir son empreinte sur le plus haut des rochers du château.

Ensuite, une tornade éclata, attirée par la lance brandie par Richard, Alard planta son épée dans le sol de toutes ses forces, et une multitude de pierres et de rochers surgirent de la colline, faisant ainsi dégringoler la vaillante armée de l’empereur dans les eaux tumultueuses de l’Amblève. -On dit d’ailleurs que c’est depuis cet acte que l’Amblève est pleine de roches.-

Les frères,  protégés par le bouclier, purent ainsi s’enfuir, sains et saufs.

Mais les tourtereaux ne se revirent jamais, et le coffre au trésor des frères resta introuvable après leur mort. On dit aussi que Câliniah eut une fille, qu’elle abandonna pour que des humains s’en occupent et qu’elle mourut de chagrin. »

 

-          Voilà, ma chérie… toute l’histoire de ce bon vieux château !

-          C’est une super histoire, maman ! Mais… qu’est-ce que c’est, le petit peuple ? Je n’avais jamais entendu cela, avant aujourd’hui !

-          Le petit peuple, ce sont les êtres merveilleux qui habitent les sous-bois.

-          Mais maman, ça n’existe pas !

-          C’est une légende, bien sûr, mais certaines langues disent…

-          Quoi ?

-          Allons, il est tard, à présent, tu ferais mieux de dormir, Line !

-          Maman ! Termine au moins ta phrase ! S’il te plaît !

-          Certaines personnes y croient toujours à l’heure actuelle, continua Claire, d’une voix basse et mystérieuse, on dit même que l’amoureuse de Renaud aurait caché le trésor des quatre frères au sein du château. Mais personne ne l’a jamais trouvé. Seule une fée pourrait le voir et faire régner la paix, supprimer la magie noire à jamais. On attendrait toujours l’élu ou l’élue… Une fée ? Une sorcière ? C’est peut-être ta voisine de banc, en classe !

-          N’importe quoi… Tu écris trop de livres, m’an !

-          Je t’ai bien eue, avoue ! Tu y as cru, non ? C’est vrai, les fées sont de mon invention, mais le reste de la légende des fils Aymon est correct. Je dois aller à la bibliothèque samedi, tu n’auras qu’à venir avec moi… perdre ton nez au milieu des bouquins !

-          Ok !

-          Allez, puce, bonne nuit… Fais de doux rêves !

-          Mmmm… 

Lina s’endormait déjà, la tête pleine de contes et de personnages merveilleux.

Cette nuit-là, elle rêva qu’elle était une princesse et que Xavier Lejeune la sauvait d’une chute de pierres !

Chapître 6: Un mystère.

Dans ce chapître, Lina continue de découvrir ses professeurs. Elle rencontre Maxime, le meilleur ami d'Anaëlle qui ne la laissera pas indifférente.

(...)Le temps de midi arriva. Lina allait prendre son premier repas dans sa nouvelle école.

Lina ignorait qu’Anaëlle rentrait chez elle pour dîner. Elle eut peur quelques instants, car elle n’avait pas d’autres repères qu’Anaëlle.

Claire lui avait remis cinq euros que Lina avait changés contre des tickets repas et boissons.

En pénétrant dans l’immense salle, emmenée par un flot d’élèves bavards pressés de se remplir l’estomac, Lina fut surprise de constater que l’école contenait un nombre important d’élèves qui se connaissaient tous. Le feu aux joues, elle repéra le self-service des « dîners chauds », le comptoir boissons puis trois longues files indiennes : les deux premières étaient réservées aux sandwiches, et la dernière aux « frites du jeudi ».

Elle se dirigea vers l’une des deux premières en saisissant un plateau. Pendant qu’elle faisait la file, elle jeta quelques regards sur l’ensemble des élèves qui se mettaient à table. Il fallait qu’elle trouve quelqu’un de sa classe ! Lina aurait tant voulu pouvoir disparaître, ou mieux : être invisible, et ne pas affronter ces regards curieux qu’elle sentait posés sur elle.

Elle vit Maxime, mais il était entouré de ses copains.

Elle continuait à chercher lorsque Martine suivie de Lydiane et de deux autres filles de la classe, la bousculèrent et la dépassèrent sans la moindre gêne.

-          Eh ! Je vous signale que j’étais là !

-          Oh, pardon Lina ! Je ne t’avais pas vue, répondit Martine, goguenarde.

-          Tu rigoles ?

-          Non, c’est vrai, promis ! s’empressa de lancer Lydiane, voyant monter la colère dans les yeux de Lina.

-          De toutes façons, continua Martine, comme tu es la fille d’une sorcière, tu t’étais peut-être rendue invisible !

Lydiane et les deux autres suivantes de Martine poussèrent des petits cris craintifs. Lina perçut un « il ne fallait pas dire ça ! » étouffé.

-          Ma mère n’est pas une sorcière ! C’est une auteure de livres pour enfants !

-          Peut-être, mais une sorcière tout de même !

-          Et puis les sorcières n’existent pas. Nous ne sommes pas dans le château de Poudlard, ici !

Les trois filles gloussèrent dans le dos de Martine, tandis que celle-ci lançait des invectives à Lina.

-          Allez, Mart’ ! Laisse-la passer, on a le temps ! 

Sans attendre la réponse de « Mart’ », Lina se plaça hardiment devant elles.

Pourquoi Martine lui avait-elle sifflé que Claire était une sorcière ? Elle ne la connaissait même pas ! Elle ne comprenait vraiment pas.

Lina était plongée dans ses pensées lorsque la voix criarde d’une femme habillée tout en bleu synthétique, la sortit de ses réflexions.

-          Fromage, jambon, salami ?

-          Vous avez thon-mayonnaise, s’il vous plaît ?

-          Oui, trois tickets bleus.

-          S’il vous plaît.

Elle alla choisir sa boisson sous le regard dédaigneux des quatre filles. Puis, se dirigea vers les tables d’élèves.

Avec tout ça, elle n’avait toujours pas trouvé de place !

Lorsqu’elle passa devant la tablée de Maxime, celui-ci l’arrêta.

-          Lina ! Tu peux venir t’assoir ici si tu veux.

-          Merci !

Lina se précipita sur la chaise libre à côté de lui. Ouf ! Elle était à table.

Elle dîna calmement en faisant la connaissance des garçons de première.

(...)

  Lina se rend chez Anaëlle pour lui poser des questions au sujet du mystère dont elle lui avait parlé dans la matinée...

-          Alors ? Ce fameux mystère ?

-          Et bien voilà : plus personne ne se promène aux abords du château, ni même dans la forêt. On raconte qu’elle est hantée.

-          Tu ris ? Hantée ? Ce n’est que ça ? Je m’attendais à une histoire réelle, moi !

-          Ne plaisante pas avec ça. Elle est hantée !

-          Tu sais, je ne crois pas à toutes ces choses. Il doit y avoir une explication rationnelle à tout ça, voyons.

-          Si tu mets mes paroles en question, ce n’est pas la peine que je continue? siffla Anaëlle, déçue.

-          Excuse-moi, je ne voulais pas être blessante. J’ai peut-être parlé trop vite. Continue.

 Lina était mal à l’aise.

Anaëlle continua cependant :

-          Il y a une petite trentaine d’années que le site est condamné. Personne n’en parle plus ici.

-          En effet, je n’en avais jamais entendu parler !

-          C’est normal. Il y a eu un terrible accident. Une morte !

-          Quoi ?

-          Je ne sais plus son nom. C’était un groupe de jeunes qui racontaient des histoires à propos de la forêt. Ils disaient que des êtres féériques y habitaient et qu’ils savaient où était enterré le trésor des quatre fils Aymon. Ils juraient que s’ils se comportaient bien avec les fées, elles leur révèleraient l’endroit.

Lina restait silencieuse et attentive. Elle écoutait tandis que les poils blonds de son cou se dressaient.

-          Ils ont voulu prouver leurs dires en allant camper dans la forêt, au cœur même du château. Ils ont installé leurs tentes, et puis on ne sait pas ce qu’il s’est passé. Ils sont revenus au milieu de la nuit. Une fille était morte. Elle était tombée d’un des remparts du château.

-          Et bien alors, rien à voir avec l’étrange !

-          Apparemment non. Mais on dit que la fille semblait devenue folle, comme si elle avait atterri dans un autre monde. Et puis, il va falloir que tu te fasses à la vie d’une petite ville comme Aywaille. Les rumeurs filent comme la poussière du vent. On ne saura jamais ce qu’il s’est passé cette nuit-là. Tous les jeunes se sont séparés et ont presque tous quitté la région. Cette tragédie a été placée sous scellés. Tu ne dois plus jamais y aller. C’est trop dangereux. Tu me le promets ?

-          C’est bizarre.

-          Quoi ?

-          Non, rien.

Lina avait une drôle d’impression. Un malaise qu’elle ne pouvait identifier. Heureusement, Anaëlle ne remarqua pas son sentiment et changea de sujet.

-          Au fait, tu as fait la connaissance de Max ?

-          Oui, répondit Lina en rougissant.

-          Sympa, non ?

-          Oui !

-          Oui ! Et qu’est-ce qu’il parle bien anglais…

-          C’est normal, ma chérie, il habitait en Angleterre avant… Son cher papa est Anglais ! Sa maman est Ardennaise… on revient…

-          Oui, je sais : on revient toujours à ses sources quand on vient d’ici… c’est le laïus qu’a fait la voisine à maman ! Mais, je comprends mieux pourquoi il a un si bel accent. Il m’a même proposé son aide…

-          Il est super gentil.

Les deux filles passèrent le reste du délai fixé par Claire à se rapprocher en parlant de choses et d’autres, Anaëlle initiant Lina aux joies simples d’une ville campagnarde.

Lina retrouva sa maman qui l’attendait déjà.

Comme elle entrait dans la voiture, elle aperçut un éclair doré passer devant elle, tourner autour de ses cheveux bruns puis filer, porté par le vent.

-          Mamoune, je pense qu’il faudrait que tu prennes rendez-vous pour moi chez l’opticien.

-          Pourquoi ?

-          Je pense que mes yeux sont fatigués, car je vois un peu trouble, mentit Lina.

Elle ne voulait pas inquiéter sa maman au sujet des quelques visions qu’elle avait pour l’instant. Ce devait être la fatigue, ou son imagination.

-          Ok, je ferai ça dès demain, je ne voudrais pas que tu aies des migraines.

-          Merci.

-          Ça s’est bien passé chez Anaëlle ?

-          Super !

-          Tu pourras l’inviter, si tu veux.

Embrassant sa maman sur la joue droite, Lina la remercia. La ruelle était très étroite. On pouvait toucher les façades de pierres grises si l’on tendait la main par la fenêtre.

-          Regarde, mon bébé, c’était ma maison préférée lorsque j’étais jeune. Maintenant, c’est un médecin qui habite ici.

Lina regarda l’immense propriété qui s’étendait jusqu’au lit de la rivière. Une belle bâtisse grise s’élevait, fière, parmi les saules pleureurs.

-          Moi, je préfère la nôtre !

-          Tant mieux. Je suis contente que tu t’y plaises.

Lina  resta silencieuse tout au long du trajet.

Elle semblait observer le paysage, mais son esprit turbinait. Claire lui avait raconté la légende. Elle avait parlé du petit peuple. Et Anaëlle racontait qu’un groupe de jeunes rapportait ce genre d’histoire, il y a quelques années. Le petit peuple, n’était-ce pas des êtres magnifiques ?

Ça ne pouvait pas être sa mère qui avait propagé de telles histoires et causé la mort d’une jeune fille ?!

Elle ne savait plus trop quoi penser à ce sujet. Trop de données manquaient. Aussi, rangea-t-elle ces questions dans un tiroir de son cerveau, qu’elle referma pour la soirée.

Chapitre 7: Le grenier

(...)

Bercée par une douce mélancolie, elle rêvait, lorsque son esprit l’emmena vers d’autres jardins.

Elle se releva, se dirigea dans le couloir, regarda la porte dessinée dans le plafond : le grenier.

Elle sauta pour attraper la fine cordelette de métal qu’elle tira. La trappe s’ouvrit sur l’obscurité. Un escalier coulissant fut amené à elle, se détachant de la planche de bois. Lina escalada les marches raides et, arrivée à l’étage, tâta les murs de la main, en quête d’un interrupteur.

Elle n’en trouva aucun. Mais, curieusement, elle aperçut à nouveau cet éclair doré tournoyer dans ses cheveux. Elle ne savait pas si elle rêvait, mais là n’était pas le plus urgent, en ce moment. En effet, elle s’aperçut qu’elle distinguait parfaitement les objets qui jonchaient le sol ainsi que les vieux meubles, les caisses…

Une odeur de nostalgie régnait ici, mélangée à celles de la naphtaline et d’un vieil encens au patchouli.

La poussière voltigeait à chacun de ses pas, personne n’avait pénétré ici depuis longtemps. La plupart des meubles étaient couverts de tissus.

Lina avança tout de même prudemment jusqu’au coin du grenier où semblait régner le plus d’ordre. Il y avait des commodes à trois tiroirs bien remplis. Des caisses de bois remplies, elles aussi. Des bols et pots en verre étaient regroupés sur une planchette. Perpendiculairement à cette planchette se trouvait un bureau couvert de poussière et d’ancienne cire de bougies. Un peu plus loin, sous le velux d’où glissait la lumière de la lune, une sorte d’observatoire amateur était installé. Une longue-vue dirigée vers le visage des étoiles semblait attendre qu’on la prenne en main.

Lina continua et arriva, après une nouvelle série de commodes à trois tiroirs, sous un autre velux. Dans ce coin lumineux, un fauteuil rouge et des tas de coussins colorés étaient assemblés autour d’une table en bois de forme pentagonale dont la hauteur ne dépassait pas la taille d’un elfe, se dit Lina. Quoiqu’elle ignorât totalement la taille d’un elfe et doutât de leur existence. A côté des coussins, de vieux livres étaient empilés. Lina n’en avait jamais vu de pareils. Ils étaient d’une épaisseur impressionnante, et paraissaient avoir appartenu à des collectionneurs tant leur reliure était travaillée avec finesse et art. Certains possédaient même une fermeture faite de fragments dorés. Les titres étaient incompréhensibles écrits dans une langue inconnue aux signes dansants. Lina se demanda d’où ils provenaient et surtout ce qu’ils faisaient dans la maison de sa mère.

Enfin, elle repassa près de la trappe et se dirigea vers le coin le plus sombre du grenier.

Elle chercha à tâtons les autres velux dont elle soupçonnait l’existence. Elle dégagea le premier, caché sous un tissu bleuté constellé de toiles d’araignées qui se déchirèrent dans la chute.

Elle distingua des coffres en bois travaillé qu’elle se promit de fouiller bientôt, une garde-robe d’un style vieillot et puis un lit en fer forgé, sans matelas. Plus loin, quelques armoires en biais, recouvertes de draps l’attendaient.

Elle s’approchait pour les découvrir et en révéler le contenu, lorsque : 

-          Ouaille ! 

Lina se cogna violemment le tibia contre un petit coffret métallique posé sur une caisse de bois blanc.

Intriguée, elle se pencha pour l’observer. Il mesurait une trentaine de centimètres de haut, sur une vingtaine de large et de profondeur. Il ne possédait ni ouverture, ni serrure.  Les motifs que Lina sentait sous ses doigts ne lui étaient pas inconnus. Du moins, c’est ce qu’elle pensait. 

Lina cherchait toujours à quoi pouvaient bien correspondre ces dessins quand

-          Linou ?

Claire interrompit le silence aventureux de sa fille. Elle montait les marches raides de l’escalier.

-          Oui ?

-          Ah ! Tu es là, je m’inquiétais ! Tu y vois quelque chose dans ce noir. 

Alors que la lumière dorée semblait disparaître, Lina se dirigea vers sa mère.

Elle ne vit pas un minuscule gourdin qui battait l’air frais du grenier, en vain.

  (...)

Lina dormait profondément lorsqu’elle fut tirée de son sommeil par un bruit sourd, au dessus d’elle. 

Boum !

Elle se demandait si ce bruit venait de ses songes, lorsqu’il se fit entendre à nouveau.

Boum !

Au troisième coup, Lina s’assit sur son lit.

Boum !

Quelque peu effrayée, elle décida pourtant de se rendormir. Elle emballa sa tête dans son oreiller en essayant de penser à la future décoration de sa chambre. Elle en oublia bientôt tous ces mystères…de la morte du château à la marche trébuchante.

Le lendemain, Lina passa toute la journée à peindre ses murs de couleurs vives.

Mais lorsqu’elle descendit l’escalier, elle trébucha à nouveau au même endroit. Malheureusement, elle ne pouvait mener son enquête tant que sa maman serait là pour la soigner ou l’observer.

La nuit, elle dormit dans l’une des chambres d’amis afin de ne pas respirer les vapeurs toxiques de la peinture.

À nouveau, les bruits se firent entendre.

Boum !                                                 Boum !

Mais Lina avait été prévoyante. Elle saisit sa lampe torche, sortit dans le couloir, sauta afin de saisir la cordelette, et grimpa silencieusement les escaliers du grenier.

Elle en était sûre, cette fois : le bruit venait de cette pièce.

Comme la fois précédente, elle n’avait pas besoin de la lampe de poche : elle distinguait chaque objet distinctement. Elle longea les murs et se dirigea dans le coin où elle avait trouvé les meubles de sa chambre.

Il n’y avait rien.

Juste la caisse de bois blanc sur laquelle était renversé le coffret. Elle s’en approcha, l’effleura du doigt et reconnut les motifs ornementaux. Ce n’était que fines courbes entrelacées rappelant les feuilles et les herbes de la nature. Sur le devant du coffret, deux spirales s’entremêlaient en cercles parfaits. Sur chaque face, des personnages inconnus de Lina -dont l’un sérieusement menaçant- étaient figés dans des scènes mystérieuses gravées dans l’argent.

Boum !

Lina sursauta. Elle soulevait le coffret lorsqu’elle reçut un minuscule coup, puis un second sur la bosse que la chute lui avait causée.

-          Mais ! Aïe ! cria-t-elle.

-          Ne touche pas à ça ! Vilaine ! piailla une voix. Et les coups continuaient à pleuvoir.

-          Mais ? Qui êtes-vous ? Où êtes-vous ?

-          Ooooooooh ! Elle m’entend… Ce n’est pas bon, ça, elle ne devrait pas me comprendre ! Ce n’est qu’une humaine, elle dit n’importe quoi ! souffla la voix qui avait soudain changé de ton.

Lina écarquilla les yeux. Le bâtonnet se déplaçait, comme s’il pensait que Lina ne pouvait le voir. Elle regarda mieux encore. Et lorsque ses yeux décidèrent de voir et que son esprit accepta, elle vit…

Un petit homme tout brun, qui portait une culotte de laine dure et verte marchait la tête en bas, sur les poutres du plafond. Son visage bourru était encadré par deux longues oreilles qui pendaient vers le sol, ses yeux étaient sombres et enfoncés dans leurs orbites. Sa bouche était dépourvue de lèvres.

-          Qui es-tu ? demanda Lina, curieuse.

-          Ooooooh ! Elle me voit ! Non, non ! Ce n’est pas possible…

-          Mais si, je te vois ! Tu essaies de te cacher derrière la lampe du bureau ! Réponds-moi ! Je ne te veux pas de mal, expliqua Lina en approchant la main.

-          Tu es sûre ? fit le petit homme brun et il lâcha son bâton.

-          Allez grimpe, que je t’observe !

Lina n’en croyait pas ses yeux. Elle devait être folle ! Elle parlait avec une lampe.

Mais non ! Elle ne rêvait pas. Il y avait bien, là, un minuscule bonhomme de 20 centimètres qui l’avait frappée ! Ahurie, elle garda son calme afin de vérifier si ses visions étaient réelles ou non.

-          Recommençons du début. Je m’appelle Lina, dit-elle en lui présentant son petit doigt.

-          Je m’appelle Harocco. Je suis un farfadet, répondit le petit homme en tendant son petit doigt.

-          Ce n’est pas comme ça que j’imaginais les farfadets. Et que fais-tu dans mon grenier ?

-          Nous autres, farfadets aidons les humains depuis la nuit des temps. Nous réalisons les tâches ménagères et domestiques. Dans les temps anciens, nous travaillions avec eux. Aujourd’hui, ils ignorent notre présence, et ont de moins en moins besoin de nous. Mais nous restons dans les greniers : c’est notre habitat.

Le farfadet était fier de lui et semblait ne plus avoir peur.

-          Notre ? Vous êtes donc plusieurs ?

-          Oui. Je vis ici avec ma moitié et notre enfant, dit-il en montrant une dame farfadet encore plus poilue que lui. Au niveau du crâne, ses poils semblaient former une frange. Il désigna aussi un minuscule farfadet qui tenait une sorte de gros ballon bien trop lourd pour lui.

Harocco présenta Harocca et Harrico.

Soudain, il se ravisa et hulula :

-          Tu ne devrais vraiment pas être ici ! C’est impossible, depuis l’unification les humains ne peuvent pas nous voir !

Lina allait répondre lorsqu’une voix chaude résonna :

-          Elle le peut, Harocco, sinon je ne serais pas là, moi non plus.

Lina chercha des yeux d’où pouvait provenir cette phrase incompréhensible. Elle l’entendait si proche d’elle, comme si elle venait… Lina étouffa un cri. En cherchant à tâtons, ses doigts avaient effleuré, sur son épaule, une masse brulante, à peine plus grosse qu’une balle de ping-pong.

-          Qui êtes-vous ? Où plutôt qu’êtes vous ?

Ce fut Harocco qui répondit pour la petite bulle de feu.

-          Une luminelle ! Une fée de lumière… Ces fées suivent les demis fées! Ce n’est pas possible !

-          Une luminelle? Qu’est-ce que c’est que ça ?! demanda Lina, incrédule.

Lina était tout étourdie avec ces nouveaux mots bizarres. Elle ne comprenait pas.

La bulle reprit.

-          Je m’appelle Luminille, je suis une luminelle. Notre rôle est d’éclairer le chemin des demis fées. J’ai commencé ma formation le jour de la naissance de « ma » fée, afin d’être prête le jour où elle en aurait besoin. Je ne pourrai suivre qu’elle jusqu’à ce qu’elle quitte ce monde pour rejoindre le royaume d’Anhau.

Lina, qui avait soudain un doute quant à sa faculté de nyctalope, lui demanda :

-          Pourquoi me suis-tu ? Je ne suis pas une fée, moi !

-          J’ai commencé ma formation le 24 février 1995.

-          Mais, souffla Lina silencieusement, c’est ma date de naissance !

-          Et oui ! Comprends-tu à présent ? Il était temps que tu reviennes dans ton pays… Je dois te confier ce précieux bijou qui atteste ton appartenance à notre petit peuple magique. Ne le perds pas 

Luminille tendit à Lina un fin pendentif doré, représentant un petit soleil de perle rose autour duquel était entortillé un chèvrefeuille. Les détails étaient tellement précis que l’on aurait pu croire qu’un minuscule orfèvre s’était attelé à cette tâche minutieuse. Le bijou était attaché à trois chaînes entrelacées, une d’argent, une autre d’or et une de bronze.

-          Mais ?

Lina était sans voix. Elle saisit le bijou merveilleux.

Sa tête était si remplie qu’elle avait les yeux brulants. Un « dring » strident lui fit rouvrir les yeux qu’elle n’avait fermés qu’un instant pour mieux réfléchir.

Quelle ne fut pas sa surprise quand elle s’aperçut qu’elle était dans son lit et que son réveil sonnait…

Qu’elle était sotte… Comment avait-elle pu croire cela ?

Une fée ? Elle ? Mais voyons, cela n’existe pas, les fées !

Elle sortit de son lit en pyjama et alla se blottir contre le dos chaud de sa maman, près de laquelle elle se rendormit paisiblement.

Dans les chapîtres 8,9 et 10, Héoliadenn :Lina va retourner chez son papa le temps d'un week end, puis elle va se rendre compte qu'elle a la capacité de communiquer avec les animaux, grâce à son chat.

ensuite, elle va retourner dans la forêt et réussira à pénétrer dans le Royaume d'Héoliadenn...

   (...)

Un bruit la fit sursauter. Lina s’empressa de reprendre le sentier d’herbe verte. D’immenses fleurs, comme des tournesols multicolores des petits bosquets. De nouvelles habitations de saule tressé en forme d’igloo de bois firent leur apparition. Elles étaient beaucoup plus grandes que les autres. Des étoffes condamnaient les fenêtres et les portes. Lina arriva ensuite dans une sorte d’avenue dont les lampadaires étaient insérés dans des arbres alignés à intervalles réguliers.

Puis, le chemin se séparait en deux, semblant contourner ce que Lina n’avait jamais vu jusqu’alors. Il s’agissait d’un arbre plus grand que tous les arbres que Lina avait vu, plus grand et plus gros que tous les nippâhs qu’elle avait croisés jusqu’ici. Ses branches ornées de feuilles rouges comme des feuilles de chêne américain touchaient le  ciel  et montaient si haut qu’on n’en voyait pas le dessus. Les branches étaient noires, et le tronc avait une circonférence aussi importante que la bibliothèque des Chiroux

Elle contournait ce chef-d’œuvre naturel lorsqu’une petite bille de lumière s’abattit sur elle.

 

-          Ah ! Ben tu auras mis le temps !

-          Toi ? Ici ? Mais…

-          Je suis ta luminelle, où veux-tu que je sois, à part dans le creux de ton cou ?

-          Luminelle ? Alors c’était vrai ?! Ton nom ? bredouilla Lina

-          Luminille.

-          Enchantée. Moi, c’est Lina. A quoi sers-tu exactement ?

-          A te montrer la lumière, quelle question ! Je resterai toujours avec toi, pour autant que tu ne doutes plus de mon existence ni de ta nature véritable.

-          Ma nature ?

-          Oui…

 

Luminille était une femme minuscule. Elle semblait habillée uniquement par la lumière dorée qui ondoyait autour d’elle comme de la soie. Elle entraina celle qu’elle disait être sa fée le long du sentier.

 

Lina tendit l’oreille : des sons lui parvenaient, tels des musiques si douces qu’elle ne pouvait imaginer les instruments qui les produisaient, accompagnés de tintements de clochettes ou de grelots. A ces sons s’ajouta ce que jamais elle n’aurait cru voir. Une fête comme il n’en existait nulle part ailleurs. Des petits êtres fragiles et ailés voletaient en tout sens avec des papillons majestueux ; des elfes vêtus de fleurs et de feuilles conversaient, assises sur des souches vertes de mousse. Des farfadets faisaient des farandoles. Des fleurs dansaient et envoyaient des pétales dans les airs, comme des feux d’artifice de couleurs et de senteurs.

Lina découvrit que l’arbre rouge aux racines noires qui s’ancraient au plus profond de la terre était un nippâh géant. Le plus ancien, le plus grand, sans doute. Il était habité par des oiseaux magiques aux longues plumes bleues, violette ou orangées, qui produisaient la douce mélodie. Ses branches fouettaient doucement l’air en rythme.

Des fées vêtues de fleurs et d’étoffes inconnues sans couture dansaient, leurs cheveux lisses blonds, roux, noirs ou blancs étaient retenus par des tresses ou lâchés, leurs têtes enserrées de fleurs ou de minéraux.

Des lutins aux cheveux en bataille et aux yeux noirs, aux oreilles pointues et aux habits de peau riaient aux éclats et apportaient des nectars et des fruits au milieu de la ronde. Sur les racines, Lina aperçut de tout petits êtres qui tapaient sur des tambours en feuilles, marquant le rythme de la mélodie des oiseaux. Des elfes ailés tout en couleur papotaient  et ressemblaient à des fleurs.

Carmin, ambré, fauve, violet se mêlaient avec tant de grâce… Lina n’en revenait pas, Luminille jubilait et frappait des mains. Elle vit également des petites lutines d’environ septante centimètres aux yeux noisette et aux cheveux de jais qui portaient des tuniques de laine tissée avec des fleurs, des fruits, des pierres et des coquillages.

De curieuses créatures recouvertes de mousses et de lichens, au museau de souris et aux ailes de coléoptères étaient immobiles et Lina dut les observer longuement pour être certaine qu’il s’agissait d’êtres vivants. Des nains vilains au poil noir ou gris conversaient vivement avec d’autres nains vêtus de rouge au bonnet vert. Des gnomes un peu plus grands à l’apparence de vieillards, riaient aux éclats en levant bien haut leurs verres emplis de nectar. Ils étaient accompagnés de lutins de septante cinq centimètres, bien proportionnés, au sourire éclatant, vêtus de gilet de mousse et de pantalon de peau. Ils étaient pieds nus, leurs cheveux bouclés brillaient.

Des sphères de verre flottaient dans l’air et renfermaient d’étranges flammes, sous lesquelles dansaient des elfes aux yeux bleus et aux longs cheveux d’herbe piqués de fleurs des champs. Leurs corps étaient subtilement cachés par des guirlandes de pétales.

Face à l’arbre géant, un monticule de rochers blancs d’où jaillissait une source d’eau pure, dans laquelle des poissons aux visages d’hommes dansaient en sautillant. Une fée dont l’habit bleuté et scintillant leur tendait les mains. Des femmes minuscules vêtues d’eau tourbillonnaient et plongeaient parmi les gouttelettes.

Une fée ailée attira le regard de Lina. Plus grande que les autres, elle dansait en tournoyant, ses cheveux ondulaient en rythme. Des feuilles et des pétales voltigeaient autour d’elle. On aurait dit qu’elle était accompagnée par le vent. 

Lina était sous le choc : elle n’avait pas rêvé ! Elle sentit ses jambes lâcher prise et s’effondra sur une pierre qui gisait le long du chemin.

 

-          Aïe ! Ouille ! lança une voix nasillarde.

-          Oups… pardon ! dit Lina en se relevant d’un bond. Elle se retourna. La drôle de voix semblait provenir de la pierre où elle s’était assise l’instant d’avant. Luminille ? Ai-je rêvé ?

-          Non, ma belle, regarde mieux ! C’est un petrus, une pierre vivante qui aidait autrefois les voyageurs perdus. Il y en a des centaines dans la forêt, mais personne ne peut plus les voir, depuis que les hommes ont cessé de croire en nous.

 

Lina se baissa et effleura la pierre de ses doigts. En effet, elle pouvait voir une fine ouverture en guise de bouche et deux petits trous pour les yeux, rehaussés par des sourcils de lichen.

La fine bouche fendit la pierre en une sorte de… sourire accompagné d’un éclat de rire.

 

-          Ah ! Tu me chatouilles ! Il ne faut pas s’asseoir sur moi, petite insolente. Tu es trop lourde. Mais ces gratouilles, c’est quand tu veux !

-          Ok, monsieur.

-          OK ? Qu’est-ce cela ? interrogea la pierre sans comprendre.

-          Euh… c’est compris, monsieur.

-          Monsieur ? Encore ? Mais sachez, très chère, que je suis une dame et que je m’appelle Pierre !

-          Oups, j’avais oublié de te prévenir, Lina, les petrus sont très souvent des demoiselles et de nature susceptible qui plus est. Il est facile de se rappeler leur prénom : c’est toujours Pierre !

-          Merci.

 

Tandis que le petrus l’inondait de cris perçants, Luminille la tira plus près du nippâh géant, au sein de l’arc de cercle que formaient ses racines, là où la fête battait son plein. Lorsque Lina apparut, toute musique cessa, toute danse se figea et toute conversation fut remise à plus tard. Ceux qui avaient continué de voleter jusque là se posèrent sur terre ou dans les arbres. Tous et toutes dévisageaient Lina d’un air pantois. Lina sentait son cœur cogner sa cage thoracique, si fort qu’elle craignit un instant de l’en voir sortir. Le silence était pesant. Luminille s’était retournée face au nippâh et s’agenouillait dans les airs. Elle dit :

 

-          Majesté, voici Lina.

-          Merci, Luminille, tu as fait du bon travail, répondit une voix chaude.

 

Lina se retourna. Elle n’avait pas vu qu’au creux des racines de l’arbre, se trouvait un trône de feuilles et de fougères, rembourré de plumes bleues et dont les pieds et les accoudoirs étaient de turquoise. Debout devant le trône, une demoiselle de la taille de Lina tendait la main pour accueillir Luminille. Son corsage de violettes surmontait une jupe d’une sorte de tulle aux reflets pourpres. Ses longs cheveux blonds pendaient dans son dos, excepté deux tresses qui passaient devant ses petites oreilles délicates et pointues surmontées d’une couronne d’or, aux entrelacs arrondis. Ses yeux sertis d’or souriaient. Dans son autre main, elle tenait une sorte de sceptre doré surmonté d’une pierre précieuse autour de laquelle s’enroulaient des lilas mauves entrelacés de lierre. Luminille lui murmura quelque chose à l’oreille, puis revint se nicher dans le cou de Lina. La reine s’approcha encore. Lorsqu’elle se déplaçait, une poussière d’étoiles s’envolait. Lina eut la désagréable sensation qu’elle était un livre dans lequel l’étrange fée pouvait trouver tout ce qu’elle voulait.

 

-          Tu en as mis du temps, ma belle.

-          Pardon ?

-          Cela fait quelques lunes que le peuple d’Héoliadenn t’attend, à présent.

-          Je n’y comprends rien…

-          Tu es dans le Royaume d’Héoliadenn, moi, je suis la reine Pernelle. Nous sommes des fées, elfes et minuscules ; gnomes, nains et terrananos ; lutines et lutins ; farfadets et peuple des mousses ; esprits, flammèches et aqualines alliés contre le mage Akzorus.

-          Ah… et que viens-je faire là dedans, moi ?

-          Tu n’es pas au courant ? Tu n’as pas lu le grimoire de notre histoire ?

-          Si, mais, comment savez-vous que…

-          Nous l’avons déposé parmi les autres livres pour que tu le trouves et que tu comprennes qui tu es. Rappelle-toi : Sibylline l’a pourtant annoncé il y a plusieurs lunes, déjà, bien avant ta naissance. « L’union de l’aurore et du crépuscule amènera la fin de la terreur nocturne. »

-          Je ne saisis toujours pas, Majesté.

 

La foule s’était serrée autour de l’arbre et tendait l’oreille. Certaines fées affichaient des marques d’impatience face à l’incrédulité et à l’incompréhension de plus en plus croissante de Lina. Un silence de plomb régnait à présent. Luminille était mal à l’aise et la reine semblait vexée.

 

-          Tu ne crois pas en nous. Viens donc consulter la devineresse. Elle seule t’identifiera.

 

La tristesse minait les traits royaux. Pernelle précéda Lina et toute sa cour. Elle entra au cœur des racines du nippâh, qui s’écartèrent devant elle, s’ouvrant aux nerfs de la terre. L’atmosphère était humide et sombre. Lina respirait difficilement. Elle comprenait à présent d’où lui venaient ses facultés de nyctalope : la luminelle irradiait une telle lumière qu’elle voyait à la perfection, malgré l’obscurité. La troupe magique serpentait, enjambant les racines et laissant derrière elle un murmure teinté d’excitation. Soudain, les racines s’écartèrent un peu plus, laissant parvenir un jet de lumière de feu et de chaleur torride. Lina était presque au but de cette balade, elle le sentait.

La reine s’arrêta. Ils étaient arrivés dans une grotte. Ni lumière du jour ni air ne pouvaient arriver jusqu’ici. Si bien que Lina se demandait qui pouvait bien vivre en ce lieu. La réponse la surprit. Une dame au visage rongé de vieillesse, à qui il manquait la moitié du nez et qui n’avait pour yeux que des cavités vides, se détacha d’une des parois. Une voix divinatoire retentit:

 

« L’union de l’aurore et du crépuscule amènera la fin de la terreur nocturne. »

 

Pernelle étendit la main. La voix se tut et la vieille devineresse se figea dans l’atmosphère lourde. Seuls ses cheveux en toile d’araignée frémissaient.

 

-          Sibylline, nous sommes là pour te demander si tu penses que le fruit de l’aurore et du crépuscule est présent ici.

-          Hum… laisse-moi voir… ce n’est pas la première fois que tu me poses cette question, Pernelle. Tu la cherches donc encore ?

-          Oui.

-          Je pense en effet que ce fruit est ici. Mais elle ne croit pas en nous. Tu as l’enveloppe, mais pas la chair. Long est le travail avant de réunir les deux. Mais le temps presse… long est le travail… le temps presse…

-          Nous y arriverons, Sibylline.

-          Prends garde à l’Homme qui pourrait décevoir encore. Le fruit est pur mais ne croit pas en lui. Apprends-lui. Laisse-lui le temps. Mais le temps presse…

 

Sur cet oracle des plus bizarres, tout le monde s’en retourna au plein jour. Le reste des convives, pendus aux lèvres de la reine, attendaient.

 

-          C’est elle, mes amis. Nous ne pouvons l’ignorer, mais elle s’ignore.

 

Des hurlements de joie fusèrent.

 

-          Elle va nous aider à déchiffrer l’énigme que Câliniah nous a laissée, qui nous permettra de vaincre à tout jamais Akzorus et son armée de créatures !

-          Qui ça moi ? Je ne veux pas jouer les rabat-joie, mais…

-          Silence, Lina, tonna la souveraine. Il faut que tu admettes ta vraie nature. Tu es le fruit d’une ancienne union entre un humain -le crépuscule- et Câliniah -l’aurore-, la reine des reines. Elle était tellement triste de perdre son aimé qu’elle posa l’enfant dans le monde des Hommes, pour ne pas l’envahir de la Tristesse dont elle est morte.

-          Je ne crois pas aux fées.

-          Tu en es pourtant une à moitié. Ne renie pas ta vraie nature comme l’a fait ta mère.

-          Ma mère ? Elle sait ?

-          Elle savait. Mais comme toi, elle a nié l’évidence tant et tant qu’elle nous a oubliés, enfouis au fond de son âme, à jamais. Nous avons besoin de toi. Mais le temps presse : peu de lunes nous séparent encore de la confrontation inévitable entre nos deux armées. Je vais te laisser rentrer chez toi, Lina. Prends le temps d’intégrer tout cela dans ton esprit. Ne le nie pas. Tu as des responsabilités que tes ancêtres ont reniées. Sinon, le Sombreuh envahira la terre entière. Je t’ai choisi des alliés de taille, qui seront là, avec toi, dans ton monde. Mais n’oublie pas. C’est notre secret. PERSONNE ne doit savoir.

 

Lina restait sans voix, incrédule et abasourdie par tant de révélations absurdes. Ses « alliés » étaient deux, plus Luminille. Il y avait Ombeline, une fée magnifique aux longs cheveux blancs, vêtue d’un corsage de rhododendrons orangés et d’une jupe de tulle roux. Sa tête était enserrée d’une couronne de chèvrefeuilles tressés dans des fils de bronze. Ses beaux yeux noisette étincelaient d’excitation, tandis qu’elle battait des mains.

 

-          Ca fait tellement longtemps que je me suis préparée ! lâcha-t-elle dans un souffle en se plaçant aux côtés de Lina.

 

Le second était un lutin au pantalon de cuir dru et au gilet de laine. Ses cheveux bouclés, emmêlés, étaient méchés de gris. Son regard sombre reflétait une intelligence vive qui n’était pas inconnue à Lina. Il avait pour nom Cyriaque.

 

-          Eky servira de liaison, informa Pernelle en désignant un minuscule chevauchant un papillon aux ailes violacées, qui passa sous son nez.

-          Mais, dit Lina, ils ne vont pas passer inaperçus dans mon monde !

-          Ne te tracasse pas de cela ! Quand tu te réveilleras, tu seras dans ton lit. Repense bien à tout ce que tu as vu. Quand tu seras prête, reviens-nous, nous activerons les recherches.

 

Lina voulut objecter, mais, elle se sentit si las…elle tenta de lutter contre ses paupières si lourdes soudainement, en vain…

Dans le chapître 11, Lina fait plus ample connaissance avec sa nouvelle amie Ombeline, vivant sous son toit sous forme de belette et avec Blue, soit Cyriaque, son chat! Luminille, sa fée de lumière ne la quittera désormais plus.

Elle pénètre dans une étrange herboristerie dont le propriétaire, Anastase Ignace, lui semble assez aimable... Puis, elle va soumettre son secret à Anaëlle.

Chapître 12: Le jugement 

Le samedi à 10h30 précises, Lina attendait son amie un peu en retrait de la grand route. Il faisait humide, les vapeurs d’eau qui glissaient le long de la rivière faisaient frissonner Lina. On n’y voyait goutte, et Lina fut surprise d’apercevoir Anaëlle à la hauteur du tournant. Elles se saluèrent brièvement. Lina sentait qu’Anaëlle avait froid et que la nuit n’avait fait qu’augmenter le nombre de questions qui tournoyaient dans sa tête.

La nuit de Lina avait été courte. Luminille était revenue, Ombeline s’était fait sermonner par la petite fée de lumière et par Cyriaque. Lina ne lui en voulait pas et avait pris sa défense. Après une semaine de cohabitation avec ses nouvelles amies, elle commençait à apprécier la droiture de Luminille et la gentille maladresse d’Ombeline. Eky était arrivée vers deux heures du matin en frappant à la fenêtre de son petit poing. Elle tenait attachées à sa ceinture deux fioles de cristal fermées par un bouchon de liège doré.

 

-          Pernelle a chargé les lutins de récolter les ingrédients nécessaires au philtre.  Elle l’a réalisé elle-même, dit-elle à Ombeline, et elle m’a ordonné de te dire d’être plus prudente à l’avenir, sinon tu seras remplacée. Ta mission est de la plus haute importance pour notre peuple !

-          Tu peux lui transmettre mes excuses…

-          La Reine a préféré préparer le philtre pour que tu ne sois pas repérée. Et puis, ce n’est pas encore un domaine que tu maîtrises à la perfection, or ce philtre-ci est extrêmement difficile à concevoir. Tu dois faire chauffer le flacon à feu médium pendant six sabliers trois quarts. Le philtre doit être ingéré deux heures avant l’instant fatidique, cela permet à l’os de se casser. Les effets durent six heures. Il parait que c’est douloureux. Ensuite, tu devras prendre le contre-philtre que voici, continua-t-elle en tendant la fiole dans laquelle ondoyait un liquide bleuté. Il faut également deux heures pour que ton os se ressoude.

-          Merci, Eky, dit Blue en étirant ses griffes. On prendra garde à tout cela.

-          Tu veux rester dormir ici, s’enquit Lina, fatiguée.

-          Non, c’est gentil, ma famille m’attend.

-          Oh ! Les minuscules et leur esprit de famille…

-          Tais-toi donc, Cyriaque ! C’est toi qui as choisi d’exécuter cette mission et d’abandonner ta famille.

-          Va t’en, insecte, cracha Blue.

-          Cyriaque ! Mauvaise langue ! dit Luminille.

-          Blue ! Tu étais plus gentil quand tu ne parlais pas ! Eky, je ne veux pas te chasser, mais, je suis vraiment fatiguée.

 

Anaëlle et Lina déposèrent leurs vélos sous le préau et prirent la direction de la cuisine. Le nez et les pommettes rouges furent réchauffés par les volutes d’un bon chocolat chaud et des tranches de pain doré. Claire devait partir pour la promotion de son nouveau livre et ne rentrerait que le soir.

Anaëlle et Lina parlèrent de tout et de rien, se remplissant le ventre de tranches de pain moelleuses et sucrées. Anaëlle admirait la maison de Lina. Après le départ de Claire, elles installèrent les affaires d’Anaëlle. Elles dormiraient dans le même lit, celui de Lina étant assez grand pour accueillir son amie. Lorsqu’elles eurent terminé leurs devoirs de physique et de français, Anaëlle plongea ses yeux bleus dans ceux de Lina.

 

-          Lina, je ne veux pas te mettre mal à l’aise. Je suis curieuse de savoir ce qui t’arrive, tu n’es plus la même que lors de ton arrivée ici : tu parles seule, tu pars à l’aventure dans les bois, des choses bizarres t’entourent : ce jour où tu étais invisible au réfectoire, celui où Mart’ t’a appelée « sorcière » !

-          Arrête, je n’étais pas invisible !

-          Raconte-moi, s’il te plaît.

-          Je veux bien te raconter, mais j’ai si peur que tu me prennes pour une idiote.

-          C’est promis, je ne rigolerai pas !

-          Très drôle.

-          Tu peux me faire confiance.

-          Ça, je l’espère, car ce que je vais te révéler, tu ne devras le répéter à personne, jamais. Tu es ma meilleure amie, et c’est pourquoi je vais te le dire. Puis-je avoir ta parole, Ana ?

-          Oui, c’est juré. Rien ne sortira jamais d’ici.

-          Tu as raison, des choses étranges m’arrivent ces derniers temps.

 

Lina commença son histoire, de la lueur bleue qu’elle avait surprise le premier jour d’école, en passant par sa drôle de rencontre dans le grenier avec Harrocco et sa famille et avec Luminille, par Héoliadenn et la Reine Pernelle ainsi que le mage Akzorus et les forces du mal qui allaient plonger la terre dans la disharmonie. Elle termina avec Ombeline et Blue, animaux qui se tenaient pelotonnés sur le lit. Lina raconta comment elle se sentait seule et expliqua son refus et son incrédulité du début. Elle était excitée par sa « nature » mais ne l’assumait pas encore entièrement. De plus, elle allait se voir confier une mission et elle aurait besoin d’aide… Lina promit à Anaëlle qu’elle n’avait jamais cru aux fées et à toutes ces sornettes qui, pour elle, étaient autrefois insensées. Mais, elle devait se rendre à l’évidence : elle avait du sang merveilleux en elle, elle avait donc certaines capacités et responsabilités dont elle ignorait encore la nature exacte. Elle décrivit la scène de fête effervescente à laquelle elle avait assisté ainsi que les personnages curieux qui s’y trouvaient, mais passa sous silence sa séance de divination chez Sybilline. Quand elle eut terminé son récit, Lina eut peur de regarder Anaëlle en face. Après un instant interminablement silencieux, Ana s’écria :

 

-          Je savais que les fées existaient ! Et le plus cool, c’est que j’en connais une ! Chouette !

-          Ne t’excite pas trop, Ana ! dit Lina à la fois surprise et gênée de l’engouement de son amie. Je ne suis pas une vraie fée ! C’est tout juste s’il reste quelques gouttes de merveilleux dans mon sang…

-          Tu es trop modeste, ma belle ! Tu as du sang magique en toi ! Tu as trouvé le royaume des fées. Si tu savais combien ont essayé avant toi ! Tu te souviens de l’expédition qui a eu raison des promenades tranquilles dans nos forêts, celle à laquelle ta maman a participé ?

Lina hocha la tête, attentive.

 

-          Et bien, leur but unique était de pouvoir entrer en contact avec les fées et les elfes.

-          Pourquoi ?

-          Parce qu’on dit qu’elles savent où se cache le trésor des quatre fils Aymon. En effet, quand Câliniah tomba amoureuse de l’un des quatre, elle leur montra la cachette secrète du trésor magique que leur cousin Mauguis leur avait fournis. Jamais personne ne découvrit ce trésor qui était vanté partout. Ce groupe de jeunes disaient qu’ils pourraient trouver les fées. Mais, à mon avis, elles ne les ont pas laissé faire, car ils ne voulaient pas vraiment les trouver elles, mais étaient uniquement intéressés par le trésor. Alors ils ont dû picoler un peu trop et la fille est tombée du haut d’un des murs.

-          Quelle clairvoyance, miaula Blue pour Lina.

-          Oui, c’est exactement ainsi que ça s’est passé. Ta maman a cessé de croire en nous le jour où son amie est morte, et nous a oubliés par la suite…Ne parlant de nous que dans ses livres… continua Ombeline. Elle a toujours prétendu qu’elle et Sophie ne faisaient que chercher le trésor.

 

Ne prêtant pas attention aux piaillements de la belette, Anaëlle continuait sur sa lancée :

 

-          Ou alors, ils sont tombés en plein dans les forces des Akzors qui leur ont tourné la tête. C’est sûrement pour ça que le site est interdit aujourd’hui ! Qu’en penses-tu ?

-          Je ne sais pas…

-          Et en plus, tu parles aux animaux ! C’est fabuleux ! Et tu as une fée de lumière dans ton cou !

-          Quoi ? Tu vois Luminille ?

-          Je pense que oui, si elle est à présent sur ton oreille gauche… Il me semble distinguer une brillance.

-          Mais, c’est impossible !

 

Luminille, qui avait tout écouté jusqu’ici, était elle aussi surprise. Mais Ombeline sourit et récita d’une voix sage :

 

-          Seuls ceux qui croient en nous avec une foi sincère peuvent voir les membres du peuple féérique. Garde précieusement ton amie, Lina, car elle est sincère.

-          Qu’a-t-elle dit ?

-          Que tu pouvais voir ma luminelle parce que tu y crois vraiment au fond de toi. Et que je dois te garder précieusement.

-          Oh ! C’est super ! dit Anaëlle en embrassant Lina. Elle sauta sur le lit, prit Ombeline dans ses bras et lui donna un bisou sur le museau. Ensuite, elle caressa Blue fougueusement puis approcha la main de Luminille. Puis-je ?

-          Oui, répondit la petite fée.

-          Oh ! Je peux l’entendre aussi ! Vous êtes magnifique, mademoiselle. Si petite ! Mais, d’où venez-vous ? demanda-t-elle en soulevant délicatement les minuscules ailes dorées.

-          Nous autres fées de lumière, naissons dans l’étoile qui apparaît lorsqu’un bébé vient au monde. S’il est de sang merveilleux, nous nous montrons à lui. Sinon, nous restons sur notre étoile et tentons de guider ses pas…

-          Comme une bonne étoile !

-          C’est un peu ça…

 

Alors que Luminille expliquait son origine, Lina se rendit compte qu’elle ne s’y était jamais intéressée et qu’elle devrait y prendre garde davantage. Luminille était vraiment très belle.

Lina était heureuse de la réaction de son amie ; elle se dit qu’elle tenait à Anaëlle et qu’elle avait eu peur de la perdre, mais il n’en était rien ! Elle la serra contre elle et la remercia.

 

-          Alors, c’est quoi, ta mission ?

-          Je ne sais pas exactement. Pernelle a été un peu floue à ce sujet. Je sais que je peux apporter mon aide pour éviter qu’Akzorus fasse régner le chaos et le mal sur terre grâce à ses tourmentines. Apparemment ce serait mon destin.

-          Original !

-          Tu l’as dit !

-          Te voilà Wonder-woman !

-          N’exagère pas, s’il te plait. J’ai dit « apporter mon aide » ! Je sais qu’elle a parlé d’une sorte d’arme.

-          C’est un peu vague. Au fait, c’est quoi, des tourmentines ?

-          Je laisse la parole à qui voudra…

 

Ce fut Cyriaque qui décrivit les tourmentines, des esprits malfaisants sans forme ou apparence précise dont le seul but était d’amener la tourmente. Lina traduisait.

 

-          Le plus dangereux est qu’on ne peut pas les voir, juste les ressentir, et bien souvent, il est déjà trop tard, les disputes ou dialogues de sourds sont déjà bien entamés… il faut un esprit vif et intelligent pour les déjouer. Nous-mêmes n’y arrivons pas toujours. Pourtant, Pernelle en a capturé quelques-unes pour nous faire ressentir leur fiel.

-          En petite quantité, elles sont trop faibles pour envahir totalement une personnalité, reprit Ombeline. Mais, leur force est tout de même…

 

Elle s’arrêta comme parcourue d’un frisson.

Lina reprit en s’adressant à Anaëlle :

 

-          Je ne savais pas que tu prendrais les choses tellement à cœur, tu sais. Merci.

-          Tu me connais bien mal.

-          Mais c’est vrai que les infos que je détiens sont un peu vagues. Peut-être faudrait-il que nous nous rendions à Héoliadenn pour consulter Pernelle ?

-          Oui ! Super !

-          Tu as raison, Lina, dirent Ombeline et Luminille en chœur. Il faut que nous avancions…

-          Nous allons aller au Royaume aujourd’hui, affirma Cyriaque.

 

Lina était subjuguée par Anaëlle. Elle avait su motiver ses troupes mieux qu’elle. Ombeline balançait sa queue chatoyante et piaillait. Blue s’étirait sur l’édredon en ronronnant et Luminille passait de l’un à l’autre en chantant. La décision fut prise : ils partiraient tous les cinq à Héoliadenn pour commencer les recherches. De quoi ? Ils l’ignoraient encore. Même Ombeline, car elle n’était qu’une jeune fée, ne connaissait pas le secret des secrets. Pour se rendre à Héoliadenn, Lina et Anaëlle devraient dormir, car nul ne connait l’entrée exacte du royaume s’il n’en faisait partie, et comme l’avait dit Pernelle, Lina devait d’abord faire ses preuves avant de mériter connaître l’une des entrées.

 

-          Mais avant de partir, j’ai une petite chose à faire dit Ombeline en souriant à Lina, et reprenant sa forme normale, ainsi que Cyriaque.

 

Anaëlle fut enchantée de voir à quel point Ombeline était belle et gracieuse avec ses cheveux blancs qui lui tombaient jusqu’au milieu du dos et sa robe au corsage de feu. Cyriaque était vêtu d’une chemise de laine à lacets et d’un pantalon de peau. Il marchait pieds nus. Ses yeux de jais lançaient des éclairs joyeux.

 

-          Mais, je ne savais pas que vous pouviez vous montrer ici ! s’écria Lina.

-          Si ! Chez toi, c’est protégé… Mais, nous devons être prudents avec ta maman.

-          C’est exact.

-          Et puis tu ne nous l’as jamais demandé non plus !

-          Oui, il t’a fallu tous ces jours pour admettre que tu étais une fée, tu ne t’es pas beaucoup souciée de nous…

-          Je suis désolée, je ferai des efforts à l’avenir, promit Lina.

 

Ombeline put réaliser ce qu’elle avait prévu quelques minutes auparavant. Elle plaça Anaëlle au centre de la chambre et dansa autour d’elle en chantonnant. Ensuite, elle jeta de la poussière ambrée et des pétales de rhododendrons. Des étincelles jaillirent. Anaëlle se demandait ce qui lui arrivait.

Lorsqu’Ombeline eut terminé, elle déclara :

 

-          Voilà, Ana, ainsi tu pourras nous comprendre, quand Cyriaque et moi serons animorphosés.

-          Animorphosés ?

-          Oui, transformés en animaux. Et désanimorphosés lorsque nous reprenons notre apparence féérique.

 

Anaëlle était ravie et remercia Ombeline. Puis, Lina demanda d’une voix inquiète :

 

-          Au fait, Pernelle et les autres Hélios ne vont pas prendre mal le fait que nous amenions Ana ?

 

Les trois petits êtres se regardèrent anxieusement.

 

-          Normalement, notre peuple doit, comme tu le sais, tenir son existence secrète. Peu d’humains croient en nous. Le fait qu’Ana nous voie révèle sa foi profonde. Je pense que ça jouera en sa faveur, annonça Ombeline.

-          Et puis, c’est pour nous aider à résoudre certains mystères, pour éloigner Akzorus, donc…

-          Pernelle devrait nous pardonner cette initiative…

-          Je l’espère !

-          Bon, les filles, fit Ombeline de sa voix douce, allongez-vous sur le lit et avalez ceci.

(...)

-          Qui est-ce ?

 Un petit attroupement de fées, lutines, elfes, nains et gnomes se forma, attirés par ces curieuses personnes.

Ce fut Cyriaque qui répondit :

 

-          Ma reine, c’est la confidente de Lina.

-          Que fait-elle ici ? Ne t’avais-je pas ordonné de ne parler de nous à personne ?

-          Je… je suis désolée, Pernelle, dit Lina en baissant les yeux.

-          Elle croit en nous, Majesté.

-          Oui ! Je crois en vous, Madame ! implora Anaëlle.

-          Elle a pu voir Luminille, continua Ombeline.

 

Pernelle jeta un coup d’œil à Luminille qui acquiesça.

Lina prit son courage à deux mains et parla :

 

-          J’ai besoin d’elle et je lui fais confiance. Jamais elle ne révélera notre secret. Elle nous aidera, si vous le permettez, Pernelle. Plus il y a d’esprits courageux et loyaux qui réfléchissent comment vaincre Akzorus, plus vite nous y arriverons.

-          Il faut que je consulte l’Alliance de l’unification, je ne peux prendre ce genre de décision seule. Héoliadenn a été bâti sur ce principe : tout se décide en communion. Attendez ici. Ce ne sera pas long.

 

Elle frappa trois fois son sceptre sur le sol et la terre frémit. Des murmures s’élevèrent des alcôves et les statues prirent vie sous les yeux éberlués de Lina et d’Anaëlle.

 

-          C’est le moyen de transport le plus rapide que l’on ait trouvé : l’étoilisation. Lorsque Pernelle appelle chacun des délégués, ils sont automatiquement transférés dans la salle du palais. C’est aussi comme ça que nous sommes arrivés ici aujourd’hui, informa Ombeline.

 

Ils s’installèrent tous à la table en forme d’étoile derrière le trône et se présentèrent tour à tour.

 

-          Romaric, chef des terrananos, lança un nain de 30 centimètres, crasseux et poilu.

-          Eliette, lutine. C’était l’une des lutines que Lina avait vues danser, qui venait de parler.

-          Rufin, peuple des mousses, dit la créature aux ailes de coléoptères qui avait surpris Lina la première fois et, vu la tête d’Ana, elle l’était également.

-          Rosine, maîtresse des elfes floraux, dit une petite demoiselle aux couleurs de la fleur éponyme.

-          Juline, elfe des saisons. Les cheveux de paille piqués de pommes et d’aiguilles de pin, le corps caché par des feuilles brunes et rousses.

-          Harrocat, farfadet. Cette espèce-là, Lina l’avait déjà vue dans son grenier…

-          Gabin, gnome. Un vieillard à l’œil vif se grattait la tête avec un bâton, l’air de se demander ce qu’on lui voulait.

-          Zacharie, maître des lutins. Un bonhomme semblable à Cyriaque, avec les cheveux d’un gris argenté, souriant, venait de s’annoncer.

-          Fulbert, nain, dit l’un des petits hommes vêtus de vert et de rouge.

 

Il y eut encore un tout petit homme qui vivait dans une flamme, aux cheveux écrevisse. Son nom était Vassili et son espèce, les flammèches. Son opposé, une des petites dames que Lina avait vues danser dans la rivière et qui semblait habillée d’eau, se présenta sous le nom d’Arielle, une aqualine. Et enfin, une petite fée placée sous une sorte de loupe, Lia, aux ailes de papillon merveilleuses, représentait fièrement les minuscules - elle ne mesurait pas plus de 5 cm.

Pernelle leur exposa brièvement le problème. Certains furent enchantés de rencontrer une « numaine » et posèrent mille questions sur sa vie. D’autres, désagréables, pensaient avoir été trahis et proposaient de bannir Lina et Anaëlle.

Pernelle perdit patience et, devant tout ce brouhaha, demanda un vote à main levée.

 

-          Moi, je ne m’oppose pas franchement à cette alliance avec une fille d’homme. Lina, notre élue saura mieux réfléchir si elle est soutenue par quelqu’un de son espèce. Le temps nous manque… Je vous invite à bien voter.

 

Tout le monde leva la main, mis à part Romaric et Rufin. Leurs visages étaient  boudeurs mais Lina n’y fit pas attention tant la liesse qui venait de s’emparer de tous était grande. Des lutins serrèrent les deux filles dans leurs bras, des minuscules faisaient la ronde dans les airs. Les autres dansaient en riant. Lina était charmée. Rêvait-elle ? Il lui suffisait alors de regarder son amie pour savoir que ce qu’elle était en train de vivre était bel et bien réel.

 

chapître 13: l'énigme

-          Il faut que je vous montre l’héritage de Câliniah. Elle nous l’a laissé avant de mourir de chagrin.

En parlant, elle les avait emmenés par delà la rivière Féria aux reflets argentés, traversant un pont aux rampes de bois noueux. Quelques fées les accompagnaient, ainsi que des minuscules et des elfes qui voltigeaient. Il y avait aussi la lutine que Cyriaque n’osait regarder en face sans rougir et un gnome aux lunettes en cul de bouteille qui tenait un long bâton tout tordu.

-          Pourquoi est-elle morte de chagrin, demanda Lina ?

-          Parce qu’elle était profondément amoureuse de Renaud, l’un des quatre frères Aymon.

-          C’est d’ailleurs avec lui qu’elle eut ton aïeul, compléta Luminille.

-          Nous avions accueilli les frères pour les cacher jusqu’à ce que l’armée détruise la forêt, arbre par arbre, pour les retrouver coûte que coûte, continua Rozenn, la fée aux cheveux noués en couettes et aux ailes colorées de vert et de brun que Lina avait observé lors de la fête. Elle était l’une des rares fées à savoir voler, car elle était la fée des vents, elle se laissait porter au gré des courants d’air pour entendre les secrets déposés par les êtres vivants dans les bois… Câliniah les a suppliés de s’en retourner et de ne plus se cacher.

-          A ce moment-là, reprit la Reine, nous vivions en communauté avec les hommes, dans les bois. Chaque espèce remplissait sa tâche et personne ne craignait personne, mis à part le Sombreuh, bien sûr. Mais l’armée détruisit notre forêt. Câliniah préféra quitter son amour pour préserver son peuple.

-          Les quatre frères partirent, reprit Ombeline, jamais elle ne revit Renaud. Mais elle eut un enfant de lui qu’elle laissa sous un porche pour que des humains puissent s’en occuper mieux qu’elle.

-          Elle ne savait plus s’occuper d’elle-même…

-          Ensuite, elle fondit le Royaume d’Héoliadenn avec Merlin dans un souci de protéger notre peuple. Puis, les portes du Royaume furent ouvertes à tous ceux qui craignaient les hommes et le Sombreuh et qui désiraient faire alliance avec nous. L’unification s’est très bien déroulée. Aujourd’hui, nous sommes nombreux. Héoliadenn est un royaume féerique créé grâce à des magies puissantes et ancestrales. Il est protégé par le plus grand secret, nous avons voulu cacher notre existence, pour survivre…

-          Vous n’êtes pas immortelles ? demanda Anaëlle, étonnée.

-          Seule la Tristesse peut nous tuer, et certaines armes maléfiques. De plus, trois fois par an, nous sommes obligées de nous transformer en animal pour respecter les lois de la nature… si la chance n’est pas de notre côté, il se peut qu’un chasseur nous prenne la vie…Alors nous nous rendons dans le Royaume d’Anhau rejoindre nos mères.

Pernelle reprit la parole à Ombeline, tandis que le petit groupe longeait la rivière argentée et croisait la source jaillissant de rochers blancs dans lesquels la fée de la rivière avait installé son fief, une charmante habitation voutée toute en lumière et en transparence.

-          Avant de mourir, Câliniah nous a laissé un message énigmatique que nous avons décrypté  en partie. Nous supposons que ce message pourrait nous aider à recréer l’arme qui avait rétabli l’équilibre pendant l’histoire d’avant l’histoire.

-          Elle seule en connaissait le secret, poursuivit Rozenn. Elle était la plus ancienne d’entre nous.

-          Il s’agirait d’une arme puissante qui permettrait de vaincre Akzorus une fois pour toutes. Elle réunirait toutes les magies de nos peuples en une seule… C’était le gnome qui venait de lancer ces mots.

En contournant la cascade, le petit groupe était arrivé à l’orée d’une pinède claire où il se sépara. Pernelle demanda qu’il ne reste avec elle que Cyriaque, Ombeline, Luminille, le gnome Galmier, Rozenn, Anaëlle et Lina. Les autres les regardèrent s’éloigner, déçus mais compréhensifs : on ne dévoile pas le secret des secrets à tous.

Les tournesols et fleurs colorées se faisaient rares. Ils croisèrent encore quelques habitations saugrenues qui ne semblaient étonner que les deux filles d’homme.

Après avoir marché quelques kilomètres, enjambé des racines et changé d’environnement plusieurs fois, le petit groupe atteignit une clairière entourée de mélèzes. Une porte de bois clair, usé par le temps, marquée de coups de soleil trouait un mur dressé en son milieu. La clenche de métal roux avait été polie par des milliers de mains. Une plante parasite semblait maintenir pierres et bois ensemble et ses racines avaient laissé des marques sur le bois. Les filles remarquèrent des membres du peuple des mousses qui montaient la garde, secondés par des elfes et des lutins camouflés dans les buissons. Des caudalongis ou esprits de la forêt, observaient l’endroit, accrochés dans les branches par leurs longues queues.

-          Voilà, nous y sommes.

Lina et Anaëlle se regardèrent, interloquées. Pourquoi ne pas contourner le mur pour « entrer » ? Pourquoi le message si important n’était-il protégé que par une simple porte qui ne donnait sur rien? Elles ne comprenaient pas.

Amusée, Pernelle plaça la pierre précieuse de son sceptre face au judas doré. Une lumière opaline aveugla les compagnons, et ils se retrouvèrent soudain au centre d’une pièce voûtée, qui avait la même circonférence que la clairière. Cette pièce souterraine était éclairée par une paroi de rochers phosphorescents.

(...)

Lina frôlait les runes de la main. Elle ne pouvait déchiffrer cette écriture ancienne. Elle demanda à Galmier de traduire dans sa langue, ce qu’elle voyait.

Le gnome toussota, et lut mot à mot :

Les quatre ultimes de la Réalité

Ensemble enlacés

De notre Terre Bleue

Feront s’enfuir le Sombreuh

 

L’essentiel sous le Trèfle  repose

Au Ponant attendra sous la Rose

-          Tu parles d’un charabia, tu y comprends quelque chose, toi ?

-          Pas grand-chose, répondit Lina à son amie.

Elle avait dû demander à Galmier qu’il relise le texte afin d’essayer d’en comprendre le sens. Mais, après réflexion, elle s’était rendu à l’évidence : elle n’y comprenait rien. Anaëlle, prévoyante, avait pensé à emporter un calepin sur lequel elle notait les précieuses informations.

-          Vous avez dit, tout à l’heure, que vous aviez déjà examiné ce texte. Qu’en aviez-vous conclu ? s’intéressa Lina.

-          Que nous avions besoin d’aide. Nous saisissons le sens de la première partie. Mais la seconde…

-          Expliquez-nous, s’il vous plait.

Galmier prit la parole, levant son bâtonnet pour indiquer les mots qu’il expliquait. Cyriaque et Ombeline étaient eux aussi, sans voix. C’était la première fois qu’ils étaient admis en ce lieu sacré et toute leur attention se focalisait sur la résolution de l’énigme.

-          Nous n’avons pas grand-chose, commença la voix branlante. Les quatre ultimes pourraient être les quatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu. Ils étaient ainsi nommés autrefois, d’après mes recherches. Il doit s’agir d’une sorte d’enveloppe où ils seraient rassemblés, pour allier leurs quatre puissances.

-          Une enveloppe ?

-          Oui, une écorce, une pierre : une enveloppe !

-          Ah oui… Anaëlle semblait perdue.

-          Les deux phrases suivantes sont assez éloquentes, cette alliance des quatre éléments fera fuir le mal de la planète. La fin parle du cinquième élément – l’essentiel - je ne sais pas ce que c’est, malheureusement.

-          C’est comme dans le film ! C’est nous, enfin, la vie ! Anaëlle avait crié de joie.

-          Je ne sais pas, je ne pense pas que cela soit si simple.

-          Je suis sûre que c’est ça…

Ana avait l’air sûr d’elle. Lina l’était nettement moins, tout comme le reste de l’assemblée qui se demandait de quoi parlait cette fille !

Avant de partir, Lina s’interrogea sur les signes intrigants gravés dans la pierre sur l’autre pan de mur. Cela ressemblait à quatre gouttes d’eau qui s’assemblaient en leur centre, qui lui, était constitué d’une sphère parfaite. Personne ne lui donna de réponse claire.

Lina, Ana, Ombeline, Luminille et Cyriaque rentrèrent dans la chambre de Lina avec soulagement. Ils s’allongèrent tous sur le lit, songeant que la résolution de l’énigme n’allait pas être une mince affaire. Pernelle leur avait donné pour mission de déchiffrer l’énigme de Câliniah et de découvrir quel était le cinquième élément et où il se trouvait. Aucun des cinq compagnons ne savait de quoi il retournait. Tous étaient perdus. Lina pensait rêver : elle était transformée en super-héros des temps modernes, avec pour mission : empêcher que le Mal ne s’abatte sur la terre. Elle s’était transformée en Bruce Willis ! Et cela ne la ravissait guère. Elle doutait toujours d’elle, au contraire de sa meilleure amie qui, les jours suivants, ne manqua jamais une occasion pour parler de leur nouveau secret. Si ça avait apaisé Lina d’en causer à Anaëlle, elle aurait parfois souhaité continuer de parler de sujets de leur âge, comme si elle était normale, de temps en temps.

Le philtre Kassoss s’était avéré très efficace, mais très douloureux pour Ombeline. Quoi qu’il en soit, elle n’avait rien laissé paraître et leur plan avait fonctionné. Le préfet avait annulé les heures de colle et excusé Lina, qui continua de prendre Ombeline-belette avec elle, mais en cachette, de peur de se faire pincer à nouveau. Il était clair que l’aide d’Anaëlle s’avérait utile.

 (...)

  chapître 14: Anastase Ignace

(...)

Le lundi arriva enfin. Lina se leva sans bruit, en essayant de ne pas réveiller le chat et la belette pelotonnés dans le duvet. Seule Luminille l’accompagna sur son vélo, flirtant avec la bruine matinale. Elle ne savait pas comment elle avait eu cette idée, mais elle l’avait eue ! Elle avait prévenu le vieil homme au regard argenté qu’elle reviendrait dans sa boutique surchargée. Elle avait un pressentiment. Comme si cet homme était une encyclopédie vivante de l’histoire de la région. Il fallait qu’elle lui demande ce qu’était la symbolique du trèfle. Un spécialiste des plantes devait sans aucun doute connaître la réponse. C’est donc emplie d’entrain que Lina poussa la porte de l’herboristerie et fit tinter le carillon.

Anastase arriva dans la boutique. Il sourit, en reconnaissant Lina.

 

-          Je savais que je te reverrais, avec ton or de je ne sais où !

-          Bonjour monsieur.

 

Lina ne savait par où commencer.

 

-          Je suis venue ici parce que j’ai supposé que vous étiez un expert des plantes.

-          Tout juste, mademoiselle !

-          J’ai une question assez importante à laquelle je ne puis répondre…

-          Je suis tout ouïe…

-          Que symbolise le trèfle ?

-          Le trèfle ? Voyons, ne me dis pas que tu ne le sais pas!

-          Pardon ?

-          Pour quiconque en trouvera, le trèfle à quatre feuilles symbolise l’argent et le bonheur depuis le Moyen-âge, … Est-ce ton cas ?

-          Je n’y avais même pas songé… C’est trop simple. Non, je n’en ai jamais trouvé !

-          Si c’est trop simple, veux-tu que je sois plus précis ?

-          Oui, si ce n’est pas trop vous demander…

-          C’est donc avec plaisir que je continuerai, j’ai si peu l’occasion de répandre ma culture auprès de jeunes plantes telles que toi… Le trèfle a toujours eu une grande symbolique chez les Celtes. Très forte, même, reprit-il en toussant. Ensuite, Saint-Patrick, le patron de l’Irlande l’a repris comme symbole de son pays. Mais, dans le même temps, il représente également, avec ses trois feuilles, la trinité. Enfin, sa couleur évoque le printemps,  la jeunesse et la vigueur ; une vie ardente et pleine !

 

Se rappelant les runes énigmatiques, Lina demanda, d’un air songeur :

 

-          Vous parliez des Celtes, que pouvez-vous me dire de leur vision du trèfle ?

-          Je pourrais vous dire qu’ils pensaient que cette plante avait des vertus contre les esprits maléfiques, appelés par les fées, descendantes celtiques, le Sombreuh.

-          Le Sombreuh ?

-          Oui, la force du mal qui chercherait à se répandre sur la terre…

-          Comment connaissez-vous cela ?

-          Ce sont les fées, chère enfant, qui luttent contre le Sombreuh pour nous protéger.

-          Je n’en ai jamais entendu parler. Vous savez autre chose ? Lina était étonnée que le vieil homme connaisse l’existence du Sombreuh.

-          Non, si ce n’est, il me semble, que la croix celte serait une schématisation du trèfle.

-          La croix celte ? sursauta Lina, le cœur battant. A quoi ressemble-t-elle ?

-          Tu ne sais pas ce qu’est la croix celte ? Tu dois déjà l’avoir vue, j’en suis certain. Attends, je vais voir…

 

Il disparut dans son arrière-boutique, derrière la tenture chamarrée. Que voulait-il dire par la croix celte ? Se pourrait-il que ce soit cela, le trèfle de l’énigme ? Lina et Luminille entendaient des jurons antiques qui tombaient en même temps que des boites en carton remplies de bric et de broc.

Lina regardait les étagères sur lesquelles s’empilaient des livres sur les plantes aromatiques. Elle en saisit un, dont le titre était Potions et philtres magiques et lut « Pour réaliser un philtre d’amour…prenez trois pétales de roses blanches, un cœur d’œillet rouge, un bouton de citronnier, une branche de fougère, trois boutons de lilas pourpre, et quatre violettes… » Elle fut coupée dans son élan par l’arrivée triomphante d’Anastase. Il tendait à bout de bras une médaille ronde et dorée d’une apparente ancienneté!

 

-          Mais ce n’est pas une croix !

-         Regarde mieux, petite sotte !

  (...)

Elle prit un bic et nota, sous la dictée de Luminille, l’énigme de Câliniah.

 

-          Nous savons que les 4 ultimes de la réalité sont les quatre éléments.

-          L’essentiel, c’est nous… s’enquit Ana, en riant.

-          Le trèfle, c’est la croix celtique… le ponant, c’est l’Ouest.

-          Il reste une inconnue : la rose.

-          Je voudrais juste attirer votre attention sur l’essentiel, dit Luminille. Cela ne représente pas l’essence humaine. Je le sais, car j’ai entendu des gnomes se disputer à ce sujet.

-          Mais comment sont-ils au courant ?

-          Un secret… ça s’ébruite, c’est bien connu. Quoi qu’il en soit, les gnomes sont les détenteurs d’une connaissance ancestrale en matière d’esprit, mais aussi de gravure et de fabrication d’alliages rares. Il y a deux versions selon lesquelles « l’essentiel » est un métal si pur qu’il serait fabriqué à partir des sentiments d’amour sincère. Autrefois, ce métal servait à fabriquer les serpes d’or des druides, pour que leurs plantes soient toujours pures. Mais cet alliage s’est fait de plus en plus rare et les gnomes qui connaissent encore ce secret, sont de moins en moins. Galmier n’en fait pas partie, mais Gabin bien. Ils se disputaient tous les deux, suite à une réunion de l’Alliance au sujet de nouvelles armes à construire. La seconde version est qu’il s’agit de la sphère de la vie de laquelle les fées seraient originaires.

-          Pourquoi ne l’as-tu pas dit à Pernelle ?

-          Parce que je n’en ai pas le droit… La seule à qui je peux raconter ce que je vois ou ce que j’entends, c’est toi, à partir du moment où tu m’as reconnue et acceptée.

-          Ok, ok… Merci, ça nous est d’une aide précieuse. Tu sais comment on nomme ce métal ?

-          L’essentiel.

-          Un symbole le représente ?

-          Si la première version est exacte, je l’ignore. Si c’est la seconde, alors nous devons chercher une sphère.

-          Bon, nous avons bien avancé…

-          Oui ! Je vais pouvoir rapporter ma bible des plantes à la bibliothèque… Tant mieux, je retardais chaque jour le moment où je devais commencer à lire ce truc en chinois !

chapitre 15: le trèfle

(...) 

Lina s’endormit rapidement. Elle rêva de Maxime et de philtre d’amour. Et c’est l’esprit tout embrumé de rose qu’elle ouvrit les yeux le lendemain matin. Elle se leva doucement pour laisser Ombeline et Blue, revenu en catimini, dormir en paix. En quête de lecture pour son déjeuner, elle saisit le livre des Potions et philtres magiques pour y jeter un œil, comme ça, juste pour voir.

Mais, en se penchant pour enfiler ses pantoufles, elle remarqua sous le lit le gros livre d’Anaëlle sur les légendes de la région.

C’est le livre sous le bras, Luminille dans ses cheveux qu’elle descendit sans faire de bruit pour n’éveiller personne.

Elle se servi un bol de Kellog’s et s’attabla. Elle ouvrit le livre d’Anaëlle à la table des matières et trouva ce qui l’intéressait.

Elle relut attentivement la légende des quatre fils Aymon. Sa maman n’avait rien oublié, aucun détail.

Mais il fallait qu’elle parle de la nuit où Sophie était morte à sa maman. Elle en était sûre : Claire ne lui avait pas tout dit !

-          Oui, je pense qu’elle pourra t’éclairer, lui confia Luminille. Elle n’a jamais plus écouté Luminia, sa fée de lumière, après cette histoire.

-          Et Luminia ?

-          Une étoile.

-          Pardon ?

-          Elle est devenue une étoile… lorsque quelqu’un cesse de croire en nous, nous retournons à notre première nature. Pour embellir les yeux des hommes, et qu’ils continuent à nous voir malgré tout.

Repoussant son bol, Lina entreprit une seconde lecture de la légende des quatre frères. Elle nota que Richard avait reçu une lance pour attirer les tornades, Guichard, un bouclier pour protéger de la pluie, Renaud une armure pour parer aux attaques de l’enfer, et Alard une épée qui causa un tremblement de terre. C’étaient les seules armes dont il était question. Après tout, les frères avaient vécu avec les fées. Ils savaient peut-être à quoi l’arme ressemblait. Tandis qu’elle relisait encore afin de vérifier qu’il n’était pas fait mention de cette arme, elle entendit la douce voix maternelle dans son oreille. Elle fut surprise de voir sa maman emmaillotée dans un peignoir en polaire violet, les cheveux en bataille et les yeux mal démaquillés se présenter à elle en bâillant.

-          Ca va, mon ange ? Tu as bien dormi ?

-          Oui ! Et toi ?

-          Très bien. Mais je dois dire que je serais encore restée quelques instants sous les draps…

-          Vous êtes montés tard ?

-          Plutôt, oui, aux alentours de cinq heures, je pense.

-          Mais que fais-tu debout, il n’est que 9 heures et demie !

-          Je suis l’hôtesse de la maison, ma belle… Il faut que je prépare le p’tit dej’ pour nos invités.

-          Je vais t’aider, Moune, dit Lina en refermant le livre et en le posant sur son tabouret.

-          C’est gentil, Line.

-          Maman, je peux te poser une question relative à ton passé ?

-          Oui ! répondit Claire, étonnée.

-          Je sais que c’est toi et ton amie Sophie qui aviez entrainé ce groupe de jeunes camper dans les ruines. Qu’alliez-vous y chercher ? Les fées ? Le trésor des fils Aymon ?

-          Comment sais-tu cela ? Peu importe, dit-elle après une courte pause gênée, tu devais l’apprendre tôt ou tard. Oui, c’est vrai, nous nous amusions à raconter n’importe quoi.

-          A quel sujet ?

-          Nous fouillions les légendes à l’époque, et nous avions découvert qu’il y avait sur la colline un royaume féérique, nous voulions en trouver l’entrée, car les fées savent où est caché le trésor des quatre frères ! Nous étions aventureuses et rêvions de trouver un trésor ! Au départ, nous ne devions y aller qu’à deux, mais les parents de ta chère amie Martine se sont moqués de nous et sont venus nous retrouver plus tard dans la soirée, pour nous montrer à quel point nous étions idiotes de croire à cette magie.

-          Tu n’as jamais cru que tu étais une fée ?

-          Non ! Les fées n’existent que dans mes livres. J’étais une gosse, j’avais envie d’y croire. Mais Sophie est tombée, et j’ai abandonné mes recherches. J’ai perdu mon amie et mes rêves en une nuit.

-          Que s’est-il passé ?

-          Nous rigolions. Elle a voulu montrer aux autres où se trouvait l’empreinte du sabot du cheval Bayard, dans la pierre. Elle s’est sans doute trop penchée. Les autres l’ont vu tomber, ils ont dit qu’elle était comme folle. Sophie aurait dit qu’elle voyait le Royaume des fées devant elle et qu’elle pouvait y accéder en sautant.

-          C’était sans doute les illusines d’Akzorus ! Elles lui ont fait voir l’entrée du Royaume pour qu’elle se tue. Ainsi, Akzorus était certain, que toi, la descendante de Câliniah, tu cesserais de croire aux fées et que tu ne représenterais plus aucun risque pour lui !

-          Quoi ?

-          Mais oui, maman ! C’est pour ça que le château est réputé hanté et dangereux, parce que Sophie a dit voir quelque chose que nul autre qu’elle ne voyait !

-          Que me chantes-tu là ? Tu as trop d’imagination, ma fille. Sophie a glissé. Je ne suis pas une fée. Les fées n’existent pas, tes illusines et ton « Axorus »  non plus !

Lina s’apprêtait à rétorquer lorsque Luminille lui tira l’oreille, en même temps que les premiers des invités ouvraient la porte avec un sourire ensommeillé.

 

L’air commençait à sentir la neige.

La rentrée scolaire se passa bien. Il était difficile pour Lina de se réveiller à nouveau aux aurores pour prendre sa douche, son déjeuner et nourrir ses fées.

Cyriaque était amoureux. Lina lui avait permis de rejoindre sa bien-aimée une nuit par semaine. Et le lutin était reconnaissant à Lina de ce petit geste.

Lina, elle aussi, était amoureuse. Elle sentait son cœur se transformer en pudding lorsqu’elle croisait le regard de Maxime, qu’elle lui parlait ou qu’elle sentait son odeur. Elle était très gênée de ce nouveau sentiment et faisait tout pour le cacher. Elle avait fait jurer à Anaëlle de se taire mais Lina préférait rester au stade d’amie pour l’instant. Cette relation platonique lui convenait. Ils riaient tous les trois pendant les récréations, papotaient de tout et de rien. Parfois, Lina devait bien se l’avouer, elle devait résister à l’envie irrépressible d’essayer le philtre d’amour pour vérifier, oh oui, juste vérifier, son efficacité…

 

La température avait encore baissé de quelques degrés et les premiers flocons firent leur apparition, couvrant les arbres décharnés et les herbes courtes d’une fine pellicule d’un blanc étincelant, qui faisait plisser les yeux. Les elfes de l’hiver étaient des perfectionnistes. Chaque courbe des collines avait été saupoudrée avec soin. Elles plaçaient de leurs doigts agiles les flocons aux cimes des arbres, gelaient les toiles d’araignée juste pour l’esthétique. C’était un spectacle d’un ravissement exquis pour quiconque aurait pu admirer cette danse d’une dizaine d’elfes, les cheveux blancs flottant dans le vent, le corsage argenté reflétant la lumière du soleil pâle et les ailes dendritiques coupant les nuages de bruine.

C’est à ce moment que Lina se rendit au Royaume avec Ombeline et Cyriaque, sans oublier Luminille sur son lobe gauche. Elle voulait demander à Pernelle si la croix celtique évoquait quelque chose pour l’un des Hélios. Montant avec difficulté la pente glissante, Lina sentait son cœur battre rapidement, car on lui avait permis d’entrer par la Porte, aujourd’hui. Elle était flattée et honorée de cette marque de confiance, annoncée par Eky le matin même.

Lina fut tout de même surprise de voir que ses amis la guidaient non pas vers le château ou le Trou du Chevreuil comme elle le pensait, mais de l’autre côte. Ils empruntèrent le pont qui servait autrefois à amener les pierres à la carrière, coupèrent à travers bois et rejoignirent l’ancienne voie romaine.

 

-          Nous ne sommes plus très loin, dit Ombeline.

-          Je pensais que l’entrée se trouvait près du château…

-          Tout le monde le pensait. Nous l’avons donc déplacée, par sécurité !

-          Mais comment se fait-il que j’aie réussi à entrer tout près du Trou du Chevreuil, la première fois ?

-          Il y a plusieurs arbres dans la forêt qui communiquent avec le Royaume. Ce sont des entrées de secours, si tu veux. Il suffit de s’y adosser et d’appeler le Royaume. Il t’ouvrira alors ses portes !

Si quelque promeneur avait pu observer le petit groupe, il aurait certainement été surpris de voir un chat précéder une jeune fille qui tenait autour de son cou une belette rousse comme le feu.

 

A un moment donné, la petite troupe s’arrêta. Un ruisseau passait sous la chaussée romaine. Blue sortit de la voie, suivi de Lina, et longea l’eau ruisselant entre les pierres. Le passage se fit plus ardu, mais il suffisait de suivre le ruisseau qui plongeait dans un tunnel naturel, très sombre. Ils ne marchaient plus sur des feuilles enneigées mais sur de la pierre glissante d’humidité. Seuls le bruit de leurs pas et le tintement des gouttes contre les parois se faisaient entendre. Lorsqu’ils arrivèrent au fond du tunnel, le ruisseau continuait sa course, mais il était impossible pour eux de poursuivre leur chemin.

 

-          Voilà ! Nous y sommes ! annoncèrent les trois compères, émoustillés.

Lina ne comprenait pas pourquoi ils piaffaient d’impatience. Elle ne voyait rien d’autre qu’une paroi naturelle recouverte de mousse et de fougères gelées.

-          Regarde mieux ! lui renjoignit Blue tandis qu’il se désanimorphosait.

Lina tentait de voir ce que son ami lui montrait pendant qu’Ombeline quittait, elle aussi, son habit de mustélidé. Il lui sembla deviner les formes d’une arcade dans  l’amas de rochers 

-          En tout cas, c’est bien camouflé !

Cyriaque prit le collier qu’il portait autour du cou et fit glisser le pendentif entre deux pierres grises.

Une porte d’argent s’ouvrit alors dans la paroi rocheuse, ouvragée d’entrelacs fins et majestueux. Les fougères au sommet de l’arcade se transformèrent en runes pour annoncer le Royaume dans lequel on pénétrait.

-          C’est à ça que sert le collier !

-          Et oui ! Nous en avons tous un, du même alliage, fabriqué secrètement par les gnomes.

-          Il faut encore une formule runique et puis c’est bon.

-          Je ne sais pas prononcer les runes.

-          Ecoute, tu l’as en toi, tu as juste besoin de savoir dire : « Heoliadenn »

La langue ancienne aux consonances celtiques avait roulé sur la porte qui frémit. Elle s’ouvrit, serrure après serrure sur le Royaume chaleureux que Lina connaissait à présent.

-          Nous allons passer par le village des terrananos. Ils sont très sales, mais si gentils. Ils remplissent beaucoup de tâches pour le peuple : ce sont eux qui purifient le sol et aident les graines à germer.

La petite troupe traversa une prairie couverte de ce que Lina prit pour des taupinières.

-          Tu comprends pourquoi ils sont si sales !

-          Ils vivent sous terre…

Lina n’eut pas la chance d’apercevoir des terrananos. Ils étaient occupés à rassembler la nourriture du petit peuple. Elle se remémora cependant leur chef, Romaric, qui avait voté en faveur de son bannissement.

Arrivée dans une forêt claire, Lina entendit un cri strident. Elle eut beau se retourner, elle ne voyait pas d’où provenait ce son. Cyriaque eut le réflexe de regarder à leurs pieds. Ils avaient failli écrabouiller une délégation de minuscules non volants qui marchaient dans la forêt que l’herbe représentait pour eux.

Lina s’amusa de voir ces petits êtres d’à peine trois ou quatre centimètres de haut réagir si fort. Ils étaient sur le dos d’escargots qui tiraient des remorques bien remplies ; leurs coquilles étaient décorées de motifs floraux.

-          Faites donc attention ! Bande d’égoïstes ! siffla un petit homme qui tenait les rênes du premier escargot.

-          Nous sommes désolés, Ehl. Nous ne vous avions pas vus… s’excusa Ombeline.

-          C’est bien ce que je vous reproche ! Vous avez failli réduire toute ma famille en bouillie ! Nous déménageons plus près de l’immarbre, nous sommes trop loin des réserves… et par les temps qui courent !

-          Vous avez raison… Prenez bien soin des petites dernières ! Comment vont Tia et Déa ?

-          Bien, merci… Elles grandissent si vite, répondit la minuscule sur l’escargot suivant. Elle portait des jumelles dans ses bras : elles mesurent déjà 8 millimètres, de vraies petites ogresses, elles raffolent du lait de jonquille…

-          Elles sont merveilleuses ! Félicitations…

-          Nous sommes en mission, coupa Cyriaque. Bonne route, mes amis.

-          Bonne route…

-          Est-ce l’élue ? interrompit une autre minuscule tout habillée de rose, fixant Lina du regard.

-          Oh, excusez notre aînée, Iva, elle est un peu mêle-tout ! Elle commence tout juste à apprendre les soins des papillons…

-          Ce n’est pas grave, Uma, oui, c’est bien elle.

Lina avait été terriblement gênée durant toute la conversation. Les minuscules avaient repris leur chemin, et eux la direction du palais. Ils croisèrent les noyers dans lesquels vivaient les nains. Ceux-ci dormaient en ronflant bruyamment.

-          Ils sont très gourmands et bons musiciens… cela fait bon ménage avec les siestes, avait précisé Ombeline. Mais, ils nous font des repas merveilleux…

Ensuite, ils croisèrent quelques nippahs et leurs sarcasmes. Puis il y eut une forêt de bouleaux, qui était l’habitat du peuple des mousses.

-          On en voit rarement.

-          Oui, ils sont si bien camouflés…

-          Et en plus, ils sont peureux et se méfient de tout…

Enfin, Lina reconnut la forêt de feuillus jeunes et vieux. Ils passèrent sur la rivière argentée.

-          C’est la Féria, précisa Luminille. L’eau la plus pure qui existe. Ce sont les madelines qui la produisent.

-          Les madelines ?

-          Oui ! Tu as déjà entendu l’expression « pleurer comme une madeleine » ?

-          Bien sûr !

-          Et bien elle est erronée : il s’agit de « pleurer comme une madeline » en réalité. Votre religion ne voulait pas inclure les fées dans ses explications… Tu auras peut-être la chance de voir une madeline, un jour… Ce sont des créatures pour le moins étonnantes !

-          Féria est la source de vie… c’est là que l’on puise la pluie, l’eau pour les arbres et les plantes,… précisa Cyriaque.

-          Nos potions ou décoctions ne fonctionnent que si leur base est de cette eau pure…Elle peut même guérir des maladies !

-          Et  ces drôles de poissons qui y nagent ? demanda Lina, curieuse.

-          Ce sont des poisshoms. Mi-homme, mi-poisson. Ils vivent comme des poissons, mais nous ne les mangeons pas !

-          Et ce sont les seuls habitants de la rivière?

-          Il y a aussi les aqualines, que tu as vues lors de l’Alliance. Si elles sont capturées par des humains, elles se transforment en flaques d’eau…

-          Et puis il y a la Fée des eaux, Perlezenn, qui s’occupe de tous ses habitants et la distribution de l’eau.

-          Elle habite à la source, dans les rochers blancs.

-          Oui, c’est exact, sa maison est tout en cristal, se souvint Lina.

-          Oui !

-          Nous l’avions vue lorsque nous étions allés consulter l’énigme.

Ils marchèrent encore, passèrent devant l’immarbre, l’arbre creux semblable à un building que Lina avait observé lors de sa première visite à Héoliadenn.

-          Et les maisons qui se trouvent près de la forêt de collines blanches?

-          Les nôtres ! répondit Cyriaque. Nous habitons là-bas. Les elfes vivent dans les huttes de saule et les gnomes habitent plus loin encore, au pied des premières pierres.

-          Les premières pierres ?

-          Oui, c’est la limite avec le Rien. Héoliadenn s’arrête là.

-          Après il y a le reste du monde magique…

-          Et après, qu’y a-t-il ?

-          Les Akzors.

C’est sur cette affirmation qu’ils pénétrèrent dans le palais, habitation des fées.

Lina, le cœur tremblant,  exposa sa théorie du trèfle.

Pernelle écoutait, Rozenn à ses côtés, ainsi que Gabin, le chef des gnomes.

Personne ne pipait mot. Lorsqu’elle sortit le croquis de son sac, Gabin s’approcha. Il le saisit et dit :

-          Ce signe me dit quelque chose. Mais je suis incapable de me rappeler. Je vais aller demander au peuple des mousses. Ils savent mieux que personne espionner votre monde…

Lina et ses amis attendirent, assis sur leurs sièges. Il leur fut servi des tisanes revigorantes et adaptées au goût de chacun. Lina se risqua à demander à Pernelle :

-          Majesté, puis-je vous poser une question ?

-          Bien sûr.

-          Connaissez-vous l’endroit où est caché le trésor des quatre fils Aymon ?

-          Seule Câliniah le savait. C’est elle qui avait indiqué à Renaud et ses frères l’endroit sûr où le cacher. Mais, elle ne nous l’a pas révélé afin de nous protéger des Hommes avides de richesses.

Après quelques minutes qui semblèrent interminables, Gabin revint, escorté par quelques Hélios curieux.

-          Rufin a demandé à toute sa famille, annonça le gnome, triomphant. Ils ont déjà vu ce signe.

-          Et où cela ? demanda la souveraine tandis que Lina s’était levée d’un bond.

-          Sur une pierre, au château.

-          Majesté, pourrait-on avoir plus de précisions ? Le temps presse…

-          Mais tu es folle d’interrompre une conversation royale ? Assieds-toi, Lina ! Luminille tirait Lina par les cheveux.

-          Sois sans crainte, Luminille. Elle a raison, le temps presse. Parle, Gabin.

-          Ils ont vu ce symbole sur une pierre du château, une pierre qui se trouve dans l’unique porche encore intact.

chapitre 16: les quatre éléments

(...) 

Pendant le cours de géographie donné par Monsieur Montagne, un homme au visage ridé comme une pomme trop mûre, Lina laissa son regard partir par la fenêtre, rejoindre les nuages. Tout à coup, un mot retint son attention, la forçant à se concentrer sur le discours monocorde de son professeur.

-          …est l’eau produite par la condensation des nuages, qui tombe en gouttes de l’atmosphère sur la terre.

-          De quoi parle-t-il ? glissa-t-elle à Ana.

-          De la pluie ! 

Lina eut une révélation. C’était comme si tout était devenu clair dans sa tête.

 

-          Mais bien sûr ! 

Lina ne s’en était pas rendu compte, mais elle avait parlé tout haut. Si bien que tous les élèves, endormis par la voix monotone, se tournèrent vers elle.

 

-          Oui, Mademoiselle Clément ?

-          Euh… je… oui, je viens de me rendre compte que la pluie résulte bien de la condensation des nuages… Ce phénomène me passionne !

-          Très bien, merci, si vous êtes réellement intéressée, écoutez plutôt ce que j’ai à vous dire !

-          Excusez-moi, Monsieur. 

Lina dut se retenir pour ne rien révéler à Ana durant toute la journée. Suite à l’incident du matin, elles s’étaient entendues pour éviter le sujet pendant les heures scolaires. C’est donc au téléphone que Lina annonça à son amie, impatiente :

 

-          Ana, la pluie c’est de l’eau !

-          Oui… et ???

-          Mauguis donna à Guichard un bouclier qui le protégerait de toutes les pluies.

-          Je ne te suis pas Lina. De quoi parles-tu ?

-          Des quatre éléments ! La pluie, c’est l’eau. Ensuite, nous avons la lance de Richard qui déchainerait les vents, nous avons l’air… Puis, l’armure de Renaud qui arrêterait l’enfer, nous avons le feu !

-          Et le quatrième, la terre ?

-          L’épée d’Alard qui déclencherait les tremblements de terre !

-          Nous avons la terre… 

Anaëlle, Ombeline, Luminille et Blue applaudirent.

 

-          Je suis sûre que les quatre éléments sont dans les armes des frères Aymon. C’est le trésor que nous devons chercher.

-          Oui ! Mais nous ne savons toujours pas où chercher.

-          Si ! le week-end, nous nous rendrons au château, sous le porche pour trouver la pierre avec la croix gravée. C’est le point de départ. C’est là que nous devons chercher.

-          Tu as peut-être raison, mais si je me rappelle mes notes, ce ne sont pas les quatre éléments qui reposent sous le trèfle, enfin, la croix, mais le cinquième, l’Essentiel !

-          Oui… c’est juste, je me suis un peu emballée… mais…

-          Nous n’avons pas de renseignements quant à l’emplacement des quatre éléments !

(...)

  Les ruines apparurent. Les jeunes filles firent le tour du propriétaire, escaladant les pierres enlacées de ronces qui menaient à l’unique mur du donjon resté debout à travers les âges. La vue était belle, sous le ciel anthracite chargé de nuages. Anaëlle n’en croyait pas ses yeux. On pouvait voir toute la vallée, les architectes du Moyen-âge étaient de vrais poètes…

Elles redescendirent sous le porche et la fouille commença. Elles éclairaient chaque pierre avec une lampe torche, mais les pierres étaient usées. Il allait être difficile d’y découvrir une gravure ancienne.

Deux heures de tâtonnements, d’effleurements et de découragements plus tard, les filles, Cyriaque et Ombeline décidèrent de dîner, appuyés contre un rempart. Ils étaient si déçus, qu’ils ne parlaient pas, se contentant de mâcher les sandwiches confectionnés le matin. Soudain, Anaëlle se leva et observa chaque recoin du mur qui s’offrait à ses yeux. Elle se dirigea là où sans doute existait une fenêtre à arcade, encadrée de meurtrières.

 

-          Lina ?

-          Oui ?

-          Une arcade, ça a bien la forme d’un porche, non ?

-          Je pense bien oui ! 

Anaëlle se précipita vers la forme ronde et arracha les plantes grimpantes de toutes ses forces. La  pierre avait disparu sous le lierre, les ronces et les  liserons.

Après avoir retiré la végétation de la paroi gauche de l’ancienne arcade, Anaëlle recula. Lina se leva, incrédule, suivie de Blue et d’Ombeline. La croix était là, sur la deuxième rangée de pierres ! Ils n’arrivaient pas à y croire. C’était si beau qu’ils sautaient et criaient comme des fous.

La croix celtique avait été gravée des centaines d’années auparavant et on la voyait toujours, même si elle était érodée par le temps. Les plantes parasites l’avaient préservée des regards et des interrogations.

Après la frénésie, Lina se mit à genoux et effleura le symbole. C’était maintenant que les questions affluaient.

-          Vous croyez que l’on doit creuser ?

-          Je n’en sais rien.

-          Cyriaque, demande lui de s’ouvrir en runique, s’il te plait. 

Cyriaque s’exécuta. En vain. Rien ne bougeait. Ils essayèrent de desceller la pierre de son socle, mais elle était si lourde qu’elle restait immobile. Ils allaient commencer à creuser lorsque Lina remarqua une forme ovale, toute petite, au centre de la croix. Elle prit son médaillon fragile, disposa le chèvrefeuille au milieu de la croix. Elle commençait  à perdre espoir lorsque la croix s’ouvrit, avec un bruit de raclement, comme si on n’avait plus ouvert cette porte depuis mille ans.

Nouveaux éclats de joie !

Puis, nouvelles interrogations…

Comment entrer ? La porte était à peine plus grande qu’un CD ! Seuls Ombeline et Cyriaque pouvaient s’y faufiler, puisqu’ils étaient toujours animorphosés.

 

-          Il n’y aurait pas une formule, une incantation ?

-          Ou un philtre ?

-          Je croix que je peux vous aider, s’écria Luminille, triomphante. Cyriaque et Ombel, vous vous désanimorphosez ?

-          Oui, je suis plus agile de mes mains que de mes pattes, dit Ombeline s’exécutant. 

Cyriaque, quant à lui, restait Blue pour voir dans l’obscurité.

 

-          Adossez-vous et fermez les yeux, ordonna Luminille. Je n’en ai pas pour longtemps. 

Elle fouilla dans son sac minuscule et en retira une toute petite fiole emplie de poudre blanche.

 

-          J’avais oublié que vous aviez d’autres pouvoirs que la télépathie et la lumière, dit Ombeline.

-          Nous sommes programmées pour donner la lumière à notre fée. Cela veut dire que nous avons le pouvoir de l’aider en cas de besoin. Et ceci fait partie de mes capacités ! Il y a si longtemps que j’attends de pouvoir rendre service… et avec la magie, c’est encore mieux ! 

Luminille voleta en spirale autour des trois filles, répandant la poussière d’étoile. Puis, dans un vol stationnaire, elle se plaça au-dessus d’elles et secoua la poudre blanche qu’elle avait sortie de son sac. Elle murmurait une sorte de litanie que Lina ne comprit pas.

Lorsqu’elles ouvrirent les yeux, quelques minutes plus tard, Lina, Ana et Ombeline n’en revinrent pas. Elles étaient toutes petites ! A peine plus de quinze centimètres. Les herbes leur semblaient des arbres et les pierres d’énormes montagnes. Elles hurlèrent de joie en embrassant Luminille…

 

Il leur fallut à peine se baisser pour passer la porte et continuer leur chemin, dans le tunnel sombre qui filait tout droit pendant quelques mètres puis bifurquait sur la droite. Il suivait apparemment le rempart. L’humidité ambiante créait de petits nuages de vapeur aux commissures des bouches.

(...)

Ils se regardèrent, le cœur battant. Personne n’osait passer la porte le premier. Ce fut Ombeline qui, excitée comme une puce, sauta en avant. Les autres l’attendaient en silence, hésitants.

Finalement, la fée les appela, impatiente. Soulagés, Lina, Anaëlle et Cyriaque, sans oublier Luminille, enjambèrent le rebord de la petite porte ronde. Levant la tête, ils purent contempler un plafond voûté, des colonnes rondes ainsi que des bancs de bois bruns alignés, regardant vers un chœur dans lequel le Christ attendait. Les rais de la lune à travers des vitraux ouvragés jouaient sur le sol de pierre bleue, enlaçant formes rondes et couleurs pâles. Ils étaient sortis du côté Est d’une petite église, le long des rangées de bancs. Mais l’église leur semblait immense, vu la petitesse de leur taille actuelle.

 

-          Nous sommes dans l’église de Dieupart ! s’exclama Anaëlle.

-          Tu es sûre ? Celle de la grand-route ? demanda Lina qui ne s’était jamais rendue en ce lieu.

-          Certaine, confirma Anaëlle, nous y venons assez régulièrement. C’est une église très ancienne. Elle date du douzième siècle.

 

Luminille leur fit reprendre leur taille normale, ondoyant autour de leurs têtes avec sa poudre blanche et sa poussière étoilée, offrant quelque éclair à la pénombre.

Cyriaque reprit sa forme de lutin et, avec Ombeline, longea les murs, à l’affût du moindre signe. Anaëlle se dirigea vers le chœur, elle avait l’intention de fouiller la sacristie et ses multiples recoins. Lina, elle ne savait trop par où commencer. Elle restait au milieu de la nef centrale, sans savoir quelle direction emprunter.

Elle avançait doucement, regardant les colonnes usées par le temps. Elles étaient simples, droites et quasiment lisses.

Soudain, elle sursauta : il y avait une croix celtique sur la quatrième colonne du côté Ouest de la nef. Elle était si haute qu’elle était presque invisible.

Elle n’eut pas besoin de parler, Luminille l’avais comprise : elle montait déjà le long de la masse de pierre, éclairant ses imperfections.

 

-          Tu as raison ! C’est bien la croix !

-          Mais que fait-elle si haut ??? Blue, Ombel et Ana ! Nous l’avons !

 

Les trois amis arrivèrent en courant à la hauteur de Lina. Elle leur fit signe de regarder en l’air. Ils étaient étonnés et ne pouvaient répondre à cette question : que faisait la croix celtique là haut ?

 

-          Tu vois quelque chose ? demanda Anaëlle à Luminille, qui faisait du surplace devant le symbole rond.

-          Non…

-          Essaye de placer ton pendentif dans le centre !

-          Je n’en ai pas, dit Luminille en se posant sur l’épaule de Lina. Donne-moi le tien.

-          Il ne sera pas trop lourd ?

-          Non !

 

Luminille, chargée du médaillon dont le poids l’entraînait parfois vers l’avant, vola vers la croix, enroulant la colonne d’un sillon de lumière. Elle réussit avec peine à l’insérer au centre de la croix, sous les regards pleins d’espoir de ses camarades levés vers elle.

Le résultat ne se fit pas attendre : un éclair doré jaillit, éblouissant la troupe. Le troisième morceau de la colonne, là où se trouvait le symbole celte, se sépara en quatre parties symétriques, sans que le reste de l’architecture ne tremble. Les rayons de l’éclair qui persistait convergeaient vers le même point : une pierre précieuse qui lévitait depuis quelques siècles au centre de la pierre.

Luminille, guidée par l’instinct de sa fée, saisit la pierre entre ses petites mains. La colonne se referma aussitôt, laissant à Lina et aux autres une sensation de rêve. La pierre semblait tellement grande, dans les mains de Luminille que Lina fut étonnée de n’avoir qu’un caillou de 4 cm de long dans ses mains.

La pierre était finement sculptée en forme de libellule.

 

-          C’est de la cornaline, Lina ! s’exclama Cyriaque.

-          Euh ???

-          C’est le nom de la pierre, la cornaline. C’est une pierre semi-précieuse très rare dans les environs… C’est un travail de gnome, ça. Un travail très ancien.

-          La cornaline permet de trouver la joie de vivre…

-          Tu parles d’une coïncidence ! lança Anaëlle. La joie de vivre, alors que nous cherchons une arme !

-          Cette arme est peut être censée ramener la joie de vivre, justement, souligna Ombeline.

-          Oui, vu sous cet angle, ça pourrait être ça, le symbole.

 

Lina n’écoutait plus. Elle avait repris la pierre des mains de Cyriaque et la regardait sous tous ses angles… Pourquoi une libellule de pierre ?

Soudain, sa réflexion fut stoppée net par le grincement de la porte de bois qui  s’ouvrait lentement.

Lina enfouit la pierre dans sa poche, et le groupe se précipita à quatre pattes sous les bancs, cherchant à rejoindre la dalle par où ils étaient entrés.

 

-          Je sais que vous êtes là, garnements ! gronda une voix grave. Comment êtes-vous entrés ?!

 

Lina jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et eut le temps d’apercevoir un vieil homme aux cheveux blancs, emmitouflé dans une canadienne noire quadrillée de rouge qui brandissait une lampe torche dans leur direction.

Mais elle fut tirée par les cheveux dans un tourbillon de lumières d’étoiles et se retrouva assise, ou plutôt jetée, sur son lit ; Anaëlle sur ses pieds, la tête en bas.

Cyriaque et Ombeline se moquèrent ouvertement des deux filles d’homme. Lina et Anaëlle se laissèrent gagner par cette euphorie et rirent de bon cœur.

 

-17-La cornaline, la libellule et le message

-          Que s’est-il passé ?

-          Nous nous sommes étoilisés ! Quelle question ! s’esclaffa Cyriaque.

-          Tu m’excuseras, mais ce n’est pas un langage dont nous avons l’habitude!

-          Nous autres, fées, avons la faculté de nous étoiliser et d’emmener des Hélios avec nous, expliqua Ombeline. Il existe des couloirs dans les étoiles, que nous pouvons emprunter. Vous aviez déjà vécu cette expérience, mais vous étiez endormies ! Vous souvenez-vous ?

-          Toutes les fées ont cette faculté ?

L’étoilisation séparait chaque partie du corps et les changeait en étoiles infiniment petites, pour les faire voler dans les airs à une vitesse plus rapide que celle de la lumière jusqu’à un endroit prédéfini, puis les replaçait dans leur ordre exact. C’était un acte très difficilement maîtrisable. Il arrivait parfois que des nez se trouvent à la place d’oreille ou que des yeux prennent à la place des mains… et inversement ! (...)

La fée de lumière n’avait pas fini ses mots lorsque Claire entra en trombe dans la chambre de sa fille. 

-          Lina ! Ana !

-         

Ombeline et Blue avaient juste eu le temps de se désanimorphoser. Les cœurs des deux filles battaient la chamade. Elles avaient oublié un détail essentiel durant leur périple au pays des minuscules : la réalité ! Elles n’avaient pas songé à prévenir leurs parents de l’heure à laquelle elles rentreraient.

-          Où étiez-vous passées ?!

-          Mais, maman, je te l’ai dit : on se promenait près du château !

-          Lina Clément, tu te promènes au château jusqu’à minuit !? J’étais morte d’inquiétude, moi ! Tout comme la maman d’Ana ! J’ai téléphoné là-bas pensant que tu dormais là, pour finir…

-          Oh non… se plaignit Ana. Je vais ramasser un savon carabiné !

-          Maman, je suis désolée. On s’amusait bien, on n’a pas vu le temps passer…

-          Que faisiez-vous au château ?

-          Rien, on papotait, on s’amusait…

-          Vous cherchiez le trésor, peut-être ?

-          Pardon ?

-          Tu m’as questionnée, l’autre jour, tu te souviens ? Alors ?

-          Non, pas le trésor,…

-          Parce que si c’est le cas, coupa Claire, il n’existe pas ! Plusieurs personnes ont passé leur temps à le chercher ! Personne ne l’a jamais trouvé ! Tu seras consignée pendant six semaines, ma fille. Interdiction de sortir, pour autre chose que l’école !

-          Mais, maman, je t’ai dit que j’étais désolée, je n’ai pas vu le temps passer !

-          Tu apprendras à le voir et à prévenir ta mère, désormais ! Tu n’imagines pas la frayeur que j’ai eue ! Quant à toi, dit-elle à l’attention d’Anaëlle, tu dors ici ce soir mais demain matin, tu rentres chez toi ! Je téléphone à ta mère pour la rassurer.

(...)Le soir, dans son lit, elle tenait la libellule figée dans sa main et conversait avec Ombeline, Luminille et Cyriaque de sa signification. L’odonate avait un corps fin et allongé ainsi que deux paires d’ailes presque transparentes. Ses yeux étaient d’une taille importante, proportionnellement au reste du corps. Les détails étaient si minutieux qu’il ne pouvait s’agir que d’un travail gnomique. Luminille volait dans la chambre, tout excitée. Soudain, Lina la retint :

-          Ne bouge plus, Lumi !

Il lui semblait qu’elle venait de distinguer quelque chose au sein de la pierre même, en transparence. Elle tint l’insecte entre le pouce et l’index et le plaça devant Luminille, se servant d’elle comme d’une source lumineuse.

-          Ombel, Blue, regardez ! Que voyez-vous ?

Elle avait bel et bien raison ! Une vraie libellule était figée dans la cornaline. Il fallait maintenant trouver le moyen de la libérer de son écrin d’agate.

Ombeline proposa de faire venir Eky pour demander comment procéder pour délivrer la libellule.

Lina ferma les yeux quelques minutes, épuisée. Elle les ouvrit alors qu’Eky frappait déjà à la fenêtre. Il écouta les demandes des quatre amis et repartit à dos de papillon, promettant de revenir au plus vite avec des réponses.

(...)La libellule magique se confie lorsqu’elle peut se reposer au cœur d’une fleur de lotus…

Lina, Luminille, Ombeline et Cyriaque étaient désorientés. Où pouvaient-ils bien trouver une fleur de lotus en Belgique et en cette saison ? C’en était trop !

-          Tu devrais aller voir l’herboriste, Lina, proposa Anaëlle, lorsque Lina lui téléphona pour lui raconter l’épisode.

-          C’est vrai, je n’y avais pas pensé. Il faudra attendre demain, car il se fait tard.

Les quatre amis s’endormirent, emplis d’espoir.

Après une journée sans fin, Lina appuya le guidon de son vélo contre la vitrine de l’herboristerie. A peine le tintement du carillon de pan avait-il retenti que le vieillard se trouvait déjà derrière son comptoir, prêt à rendre service à Lina.

-          Une fleur de lotus ? En cette saison ? Pour quelle créature ?

-          Euh… Pour ma libellule, monsieur.

-          Une libellule lotusia, en plein hiver ?

-          Elle est un peu particulière… Alors, vous pourriez m’aider ? demanda-t-elle, impatiente.

-          Je vais voir ce que je peux trouver, déclara Anastase Ignace en disparaissant dans son arrière-boutique pleine de fourbi.

Quelques instants plus tard, il revint avec une petite boîte dans laquelle se trouvait une magnifique fleur de lotus aux pétales rose sombre et au cœur orangé

-          Je pense que cela devrait convenir à ta drôle de libellule.

-          Je ne sais pas comment vous remercier, Monsieur Ignace.

-          Tu le feras bien assez tôt… A demain !

Lina était pressée de rentrer chez elle pour tenter de réveiller la libellule.

Le soir venu, Lina, entourée de ses amis, regardaient la libellule de cornaline. La boîte renfermant la fleur précieuse était dans les mains de Lina. Elle se préparait à la déposer près de l’odonate, lorsqu’Ombeline l’interrompit.

-          Et si elle s’envole ?

-          Je n’avais pas songé à cette éventualité, admit Lina.

-          Je crois que j’ai une idée, continua Ombeline.

Elle fit le tour du cercle qu’ils avaient formé en pointant son périmètre de son doigt. Elle prononça des paroles indistinctes et s’assit. Elle ferma les yeux et Lina se demanda ce que la fée fabriquait. La réponse ne tarda pas : un dôme de cristal fin apparut dans des arcs en ciel dorés, les recouvrant entièrement.

-          Voilà ! Ainsi, elle ne pourra pas aller bien loin !

Lina posa le lotus au milieu du cercle et plaça la libellule au cœur de la fleur. Rien ne se produisit. Elle réfléchit à toute vitesse, voyant les mines déconfites de ses amis. Qu’avaient-ils oublié ? Qu’avait-elle lu dans le grimoire ? « Le lotus et… lui parler. » C’était cela ! Ils n’avaient encore rien demandé à la libellule. Lina toussota et prit la parole :

-          Petite libellule, montre-nous que ton corps n’est pas de pierre. Aide-nous à trouver l’indice qui nous manque.

Toujours rien. Lina perdait espoir lorsque Luminille lui caressa l’oreille. Elle reprit :

-          Libellule magique, montre-nous ton véritable corps, aide-nous à nous débarrasser du Mal.

Lina avait parlé en runique sans même s’en rendre compte, ce qui emplit d’émotion Cyriaque, Ombeline et Luminille.

L’enveloppe de cornaline explosa soudainement en petits morceaux de feu, formant une sphère autour de l’insecte. La libellule s’étira, ses yeux aux mille facettes se posèrent sur Lina et une voix sourde s’éleva

« Sous la rose de mon jardin l’Essentiel repose… »

La libellule perdit alors toute aura magique et se posa sur les pétales du lotus.

-          Ces énigmes m’enquiquinent ! s’énerva Anaëlle.

-          Oui, je pense la même chose. Je n’y comprends plus rien. Nous n’avons toujours pas les quatre éléments et ce fichu Essentiel, je pensais bien l’avoir ! Mais non !

-          Tu devrais peut-être retourner voir ton épicier.

-          Encore ? Mais… Lina se rappela des dernières paroles du vieil homme : il lui avait dit « à demain », comme s’il savait…

-          Je suis sûre qu’il pourrait encore nous aider.

-          Tu as sans doute raison. J’en parle aux autres et je te tiens au courant demain. Bonne nuit !

En raccrochant le combiné, Lina était heureuse de pouvoir collaborer avec son amie. Son aide lui était parfois précieuse.

Le lendemain, après l’école, Lina se rendit à nouveau à la boutique.

-          Bonjour, jeune fille ! clama Anastase en écartant la tenture.

-          Bonjour, Monsieur Ignace.

-          Je pense que tu auras besoin de cela, déclara-t-il en lui tendant un livre à la tranche toute brunie d’usure.

C’était un manuel d’histoire d’une ancienne époque, au titre éloquent « Histoire de nos régions ». La couverture tombait presque en miettes. On pouvait y deviner la forme qu’avait laissée un autre ouvrage après une exposition trop longue au soleil. Lina feuilleta les pages qui sentaient la poussière. Le livre s’ouvrit de lui-même à la page 46. On avait dû s’y arrêter souvent. Lina allait le refermer quand son regard fut attiré par le mot « Montjardin ». Il s’agissait de la légende d’une ancienne gravure qui représentait un château de style gothique dont la tour ronde se fondait dans la roche et fonçait vers l’Amblève. Il était entouré d’arbres et ses flèches se tendaient vers le ciel. La légende disait : « Le château de Montjardin avant la chute de sa tour ronde dans les eaux de l’Amblève en mars 1927 ». Lina n’avait jamais entendu parler de ce château. Ses pensées furent troublées par un toussotement de derrière le comptoir de chêne.

-          Je ne comprends pas comment vous saviez que…

-          Tu le sauras bien assez tôt.

-          Et ce château serait le jardin que je recherche ?

-          Rends-t-y, tu vérifieras par toi-même. Cette photo est ancienne, maintenant la tour est carrée. Peut-être sais-tu déjà où il se trouve. Tourne la page, tu verras.

Lina s’exécuta. En effet, le château avait subi des transformations. La tour ronde avait disparu pour laisser place à une imposante tour carrée. Les flèches avaient également disparu.

Après un bref cours d’histoire où Lina apprit que la tour avait cédé à l’érosion de l’Amblève, qu’il y avait autrefois un autre château dont on disait que les pierres avaient servi à la construction de l’église de Dieupart et que ce château n’était malheureusement pas visitable car toujours habité, Lina prit congé du vieil homme. Elle se demanda s’il était déjà là, en 1927.

Elle était troublée de l’efficacité de l’aide d’Anastase. Elle n’avait eu nul besoin de lui dire pourquoi elle venait. Il savait déjà.

 (...) Or, l’étape suivante se trouvait à Montjardin et il était impossible de faire le mur.

Les giboulées du mois de mars furent violentes. Selon Ombeline, les tourmentines des Akzors frappaient encore. Les giboulées devaient battre le moral des hommes, leur donner de l’espoir et le leur reprendre aussitôt.

La punition de Lina fut enfin levée. Lorsque les vacances de printemps arrivèrent -très tôt, cette année- Lina fut charmée de pouvoir souffler quinze jours et demanda à ses parents de rester dans les Ardennes dans l’espoir de pouvoir enfin se mettre à chercher l’élément Essentiel. Le mercredi, elle invita Anaëlle pour dormir chez elle. Elle l’attendait le long du chemin asphalté, lorsque attiré par cette humaine qui allait peut-être lui donner à manger, un cheval noir se dirigea vers elle. Frétillant des babines, pour montrer qu’il était là, il dit :

-          Auriez-vous à manger?

Lina, surprise – elle n’était pas encore habituée à ce nouveau don et n’en usait donc jamais -  recula pour observer l’étalon.

-          Non, je n’ai rien sur moi.

-          Mon herbe est encore gelée !

-          Tes propriétaires viendront te nourrir, non ?

-          Je ne pense pas. Ils me délaissent en ce moment, voyez-vous.

-          C’est parce qu’il fait froid. Tout le monde est délaissé.

-          S’il vous plait… une petite carotte ?

-          Bon, attends-moi là, je vais voir ce qu’il y a dans mon frigo.

Lina courut jusque dans la cuisine. Elle ouvrit le frigo et prit quatre carottes. Elle ouvrit également le sachet de pain et s’empara des quelques tranches restantes.

Le cheval, qui disait s’appeler Sir Gontran, mais que ses maîtres avaient baptisé Flicka (« ridicule patronyme pour un étalon de ma caste ! »), apprécia le geste de Lina. Il mâcha doucement les carottes, puis s’attaqua aux tranches de pain.

-          Je vous remercie, ma chère.

-          Mais de rien ! dit Lina en apercevant son amie aux joues quasi violettes.

-          Si vous avez besoin d’un service, n’hésitez pas ! Je vous le rendrai avec grand plaisir.

-          Merci, Sir Gontran.

-          Tu as un nouvel ami ? demanda Anaëlle qu’elle n’avait pas entendue arriver.

-          Euh… c’est Sir Gontran. Il avait faim.

-          Et moi, j’ai froid. Allons-y.

-          A bientôt, Sir Gontran, dit Lina en saluant le cheval.

-          A bientôt, mademoiselle ! hennit-il.

Anaëlle installa ses affaires et les filles papotèrent jusqu’à ce qu’elles furent interrompues par Blue. Claire était partie pour la journée, et avait supplié Lina de ne pas faire de « fugue » cette fois-ci. Lina avait promis.

-          Donc, l’Essentiel serait au château.

-          Oui, sous la rose.

-          Bon, les amis, comment faire pour nous rendre dans ce fameux château ?

-          Premièrement, il faut y aller de nuit, pour ne pas être repérés, dit Cyriaque.

-          C’est vrai. Ce serait plus prudent.

-          Mais, nous devons également penser à autre chose, annonça Lina. Ni Ana ni moi ne pouvons décevoir nos mères, sinon, les balades nocturnes seront définitivement interdites…

-          J’ai une idée, lança Anaëlle après quelques instants. Laisse un mot à ta maman disant que tu dors chez moi. Et de mon côté, comme je dors chez toi… ni l’une ni l’autre ne s’apercevra de la supercherie…

Lina n’aimait pas trop mentir, mais d’un autre côté, elle n’avait pas le choix. Le mot fut donc rédigé et laissé bien en évidence sur le plan de travail en granit de la cuisine.

L’heure du dîner arriva rapidement, et celui-ci fut vite englouti par la petite troupe. Le reste de l’après-midi fut consacré à la confection des sacs dans lesquels ils placèrent des lampes torches, des cordes, des outils, des sandwiches, et des habits plus chauds.

-          Dommage que nous n’ayons pas une cape d’invisibilité comme Harry Potter ! plaisanta Anaëlle.

-          Ce serait plus facile !

-          Nous n’avons pas besoin de cape, nous autres les fées. Nous pouvons nous rendre invisibles à notre gré.

-          Et bien alors, c’est réglé ! annonça Anaëlle. Nous n’avons plus besoin de nous cacher ! Rends-nous invisibles.

-          Je n’ai pas dit que je savais VOUS rendre invisibles. Ma magie n’est pas encore assez puissante. Et si je suis invisible toute seule, cela ne résout pas le problème… Par contre, Lina, tu es une fée !

-          Et alors ?

-          Tu pourrais, si tu le voulais, te rendre invisible.

-          Mais bien sûr !

-          Tu l’as déjà fait… Lorsque tu es allée chercher le grimoire sur notre peuple.

-          Que racontes-tu là ? Jamais je ne suis allée récupérer le grimoire, c’est maman qui…

-          Que tu crois ! Tu ne t’en rappelles peut-être pas, mais tu y es allée. Tu ne t’es pas fait prendre car tu t’es rendue invisible, comme lors de ton premier jour d’école dans le réfectoire, alors que tu observais timidement les lieux.

-          Invisible ?

-          Oui, une faculté rare des fées, dont elles peuvent user à bon escient, ou parfois pour les plus jeunes -sous le coup d’une forte émotion. Ce que tu as fait.

Lina comprenait tout, à présent : les réflexions de Martine, ce jour-là, la bousculade… Et puis, pour le grimoire, jamais plus elle n’en avait parlé à Claire, elle avait supposé que c’était elle qui avait usé de son influence d’écrivaine pour le lui ramener.

Anaëlle battait des mains.

-          Invisible, non mais, tu te rends compte !

-          Pas encore, non.

-          Essaie!

Lina essaya de se rendre invisible, mais elle n’y arrivait pas. Elle ne le « pensait » pas assez, selon sa fée de lumière. Et puis, cela nécessitait un apprentissage précis !

 

-18-La rose de Montjardin.

 

Alors que le soir venait de tomber, la petite troupe alla se cacher dans le foin, sous le préau. Ils désiraient partir vers le château de Montjardin vers 20 heures, pour passer inaperçus.

Lorsque Claire rentra, Luminille alla vérifier si elle ne téléphonait pas à la maman d’Anaëlle. La petite fée de lumière s’approcha délicatement de la fenêtre. Claire avait lu le petit mot et semblait déçue que sa fille n’ait plus autant besoin d’elle qu’auparavant. Déçue qu’elle ne l’ait pas attendue pour lui faire un câlin. Mais, après tout, c’était ça, la vie… laisser s’envoler ses enfants. Claire commença à préparer son souper et Luminille jugea que la situation était parfaite. Pendant ce temps, Lina avait eu l’idée de demander à son nouvel ami de les emmener à travers la nuit au plus près du château de Montjardin. Le petit groupe s’avança dans le chemin, prudemment. Le cheval ne se montrait pas. Cyriaque désigna alors un petit cabanon au fond du champ qui longeait l’Amblève et ils s’y rendirent à pas de loup. Lina poussa la porte de bois foncé et toussa discrètement : le cheval semblait dormir debout et Lina ne tenait pas à l’effrayer. Mais il tourna la tête vers la fille d’homme.

-          Ah ! Encore vous, jeune damoiselle. Que me vaut cet honneur ?

Lina avait compris comment amadouer le cheval, et obtenir ce qu’elle désirait de lui :

-         Je me permets de venir vous voir avec mes amis, dit-elle en désignant les autres de la main, car nous aurions un service à demander à l’étalon que vous êtes.

-          Je vous écoute, très chère.

-          Nous aurions besoin d’un destrier de votre rang pour nous rendre de l’autre côté de la vallée, au château de Montjardin.

-          Pour y faire quoi ?

-          Nous devons empêcher le mage Akzorus d’envahir notre terre, Sir Gontran. La clé de notre réussite se trouve au sein du château. Vous participeriez à une noble cause et seriez cité en héros…

-          Je pense que je pourrais vous rendre ce service. Mais, j’exige que mon nom soit cité !

-          Pas de problème.

Le cheval s’agenouilla pour laisser monter les deux filles. Ombeline et Cyriaque s’étaient animorphosés. Lina portait la belette autour du cou, tandis qu’Anaëlle s’accrochait d’une main au dos de Lina et tenait le félin de l’autre.

Le sire quadrupède suivit le cours de la rivière, à pas de velours. Sa crinière flottait dans le vent calme et la lune se reflétait sur son encolure noir corbeau.

(...)Sir Gontran proposa de se rendre au château par le bas, pour ne pas attirer l’attention de personnes malveillantes.

-          Le château est entouré d’une vaste propriété privée ! Imaginez un peu si elle est gardée par des chiens… Je me sauve au galop !

Il redescendit le long de la rivière tandis qu’une légère bruine commençait à tomber. Elle était fine, mais mouillait chaque partie des corps non abritée, et les filles furent rapidement trempées jusqu’aux os.

L’étalon remonta soudain une pente raide qui obligea Lina et Anaëlle à se pencher en avant. Encore quelques mètres courageux, et ils purent enfin toucher les pierres de la tour. Les filles sautèrent sur un sol couvert d’épines.

-          Alors qu’est-ce que ça dit, encore ? demanda Anaëlle.

-          « Ça » dit Sous la rose de mon jardin l’Essentiel repose… siffla Cyriaque qui reprenait son apparence en fusillant Ana du regard.

-          Ou encore Au Ponant attendra sous la rose… compléta Ombeline. Ce sont les deux phrases où figure le mot « rose ».

-          Où y aurait-il une rose en cette saison ? demanda Lina.

-          Elle doit être bien protégée. Peut-être y a-t-il une serre quelque part ?

-          Hihihihiiiiiiii ! hennit le cheval. Que vous êtes incultes, mes bons amis ! Il n’y a guère de serre à Montjardin, voyons !

-          Et qu’est-ce qui vous fait ricaner ainsi ? demanda Lina, boudeuse.

-          Tout le monde sait bien que dans la salle principale de Montjardin, là où avaient lieu les plus belles cérémonies d’antan, le plancher est en chêne véritable…

-          Et ? firent les autres, impatients.

-          Et sur ce sol de bois pur, est gravée une rose des vents. Vous savez ce qu’est une…

-          Mais bien sûr ! Et c’est sous le symbole du Ponant qu’est caché notre trésor ! lança Lina.

-          Soit, celui de l’Ouest ! dit Anaëlle, triomphante.

-          Hihihihiiii ! Que feriez-vous sans votre noble destrier !

-          Merci, Sir Gontran. Mais comment savez-vous toutes ces choses ?

-          Mes propriétaires sont des nantis et ils m’ont déjà emmené galoper ici. Je les ai maintes fois entendu narrer les exploits des bourgeois de Montjardin et décrire l’intérieur raffiné de cet endroit.

-          Puis-je vous demander un dernier service ?

-          Certes, mon amie, quoi donc ?

-          Pouvez-vous nous attendre ici ?

-          Mais bien sûr ! Avec grand plaisir. Je resterai caché dans le sous bois.

-          Mille mercis, Sir Gontran, dit Lina en lui tendant une carotte.

Lina n’avait pas eu besoin de traduire les paroles du cheval à son amie, car Luminille avait ensorcelé la langue de celui-ci pour qu’Anaëlle puisse exceptionnellement le comprendre. Les amis longèrent les murs jusqu’à l’entrée, en riant silencieusement de la manière dont parlait le cheval. Avec emphase et larges voyelles ! On aurait dit un vrai chevalier des temps anciens !

Il était près de 22 heures et les lumières ne s’étaient pas encore toutes éteintes. Ils attendirent, adossés contre le mur froid. Deux heures plus tard, alors qu’Anaëlle et Ombeline s’étaient endormies, Cyriaque sauta sur l’épaule de Lina.

-          J’étais sur un appui de fenêtre : les derniers habitants semblent être allés se coucher…

-          Ok ; allons-y.

Ils réveillèrent Ombeline et Ana et se mirent en marche. Les serrures de la porte d’entrée étaient on ne peut plus modernes, il était donc impossible à Luminille de se faufiler dans le barillet comme elle l’avait fait à l’école. Ils firent le tour du château jusqu’à un soupirail oublié. La porte était composée de deux battants de bois, et il y avait suffisamment d’espace pour que Luminille, Ombeline et Cyriaque, animorphosés, puissent se faufiler pour l’ouvrir de l’intérieur.

Les deux Hélios poussèrent de toutes leurs forces et le bois pourri céda, empoussiérant Lina et Anaëlle. Les deux filles finirent le travail en arrachant les restes de la porte. Elles purent ainsi descendre des escaliers arrondis et glissants qui menaient à un trou noir et humide, fermé par une porte de bois usé. La serrure semblait dater du Moyen-âge et Luminille n’eut aucun mal à faire sauter le loquet.

-          Nous devons être dans les caves, constata Ana.

-          Sans blague ! se moqua Cyriaque en reprenant sa forme de lutin aux côtés d’Ombeline déjà désanimorphosée.

Ils cherchèrent l’escalier qui menait au rez-de-chaussée. Les caves étaient immenses, et baignaient dans l’eau, ce qui expliquait l’absence de traces de vie en ces lieux. Ils trouvèrent cependant un escalier de bois vermoulu aux fines marches qui longeait un mur suintant ; ils l’empruntèrent avec prudence. La porte qui séparait la cave des pièces habitées était plus récente, mais ils découvrirent un espace sous l’une des charnières. Luminille y passa et poussa le verrou de toutes ses forces. Les autres l’encourageaient silencieusement. Elle finit par y arriver, mais sa lumière avait faibli, signe d’une certaine fatigue. Lina la saisit et la força à s’asseoir sur son oreille. La porte était entrouverte. Mais, dans une si grande demeure, il y avait sûrement un système d’alarme high-tech. Apparemment, ils se trouvaient face à la porte d’entrée. A sa gauche, un boitier électronique était soudé au mur. Ombeline poussa la porte.

-          Attention, idiote, l’alarme va se déclencher ! dit Blue.

-          Ne te tracasse pas. Je te signale que je suis une fée, même si je n’ai pas encore tout appris et que je n’ai pas reçu ma fonction !

Elle étendit les mains et ferma les yeux. Elle parlait tout bas, mais ni Lina ni Anaëlle ne pouvaient la comprendre. Soudain, un éclair rougeâtre transperça le boitier.

-          Voilà ! J’ai désactivé l’alarme.

-          Comment as-tu fait ?

-          J’ai envoyé un sort d’embrouillement.

-          Un quoi ? demandèrent les filles en chœur.

-          Un sort d’embrouillement. Normalement, ça sert à brouiller l’esprit des ennemis. Je me suis dit que cette chose en était un !

-          Parfait. Allons-y, trouvons la salle principale ! dit Blue.

Ils arrivèrent dans un hall circulaire rehaussé d’un lustre de cristal. Le sol était de carreaux noirs et blancs. Sur la droite, une porte de bois surmontée de deux vitraux donnait apparemment sur la pièce principale. Le sol était un plancher magnifique et le plafond était haut. Une cheminée trônait, majestueuse, au centre de la pièce. Les murs étaient ornés de tapisseries d’époque, aux dorures proéminentes. Ils inspectèrent le sol, à la recherche de la rose des vents. Quand Anaëlle alluma sa lampe-torche, elle éclaira la rose finement inscrite dans le parquet. Composée de quatre triangles coupés en deux, elle était magnifique. Chaque triangle était constitué d’une moitié de bois clair et d’une moitié foncée. Ces quatre triangles représentaient le Nord, l’Est, le Sud et l’Ouest. Les autres points d’intersection étaient des triangles de bois d’une autre espèce. La rose indiquait le Nord avec précision, ce qui donnait l’impression que la pièce n’était pas droite.

-          De quel côté est l’Ouest ? demanda Lina qui regretta soudain de ne pas avoir mieux écouté le cours de géographie.

-          « Où est l’Est » c’est donc à gauche par rapport au Nord, l’aida Anaëlle.

-          Tu as raison.

Ils se dirigèrent silencieusement vers la cheminée où se trouvait le triangle de l’Ouest. Il mesurait deux mètres de hauteur. A quatre pattes, ils examinèrent les lattes claires et foncées qui composaient la forme géométrique. Il n’y avait, cette fois, aucun interstice apparent. Le parquet était lisse comme du marbre. Comment déterrer l’élément Essentiel sans saccager le plancher ?

Alors qu’ils se concentraient activement sur les lattes qui formaient le triangle Ouest de la rose des vents, Cyriaque se dirigea vers le centre de celle-ci. Il s’agissait simplement de l’intersection de tous les points cardinaux et rien ne paraissait anormal. En y regardant de plus près, il s’aperçut qu’une des lattes foncées semblait plus claire que les autres, on aurait dit qu’elle avait été enlevée, puis replacée dans le mauvais sens, car elle n’était plus exactement parallèle aux autres. Il essaya de la saisir, mais elle ne bougeait guère. Il prit alors le petit couteau d’argent qu’il portait toujours, accroché à sa ceinture, et introduisit la pointe de la lame dans la fine fente, pour faire bras de levier. La latte se souleva, comme par magie. Cyriaque voulut prendre la latte dans ses mains, mais elle était lourde et encore coincée dans le parquet. Il ne s’agissait pas d’une simple latte de parquet. C’était un petit coffret dont l’un des côtés avait la forme d’une latte. Il était donc étroit et mince, mais les cinq autres côtés étaient travaillés des habituels entrelacs. Il se dépêcha d’avertir les autres.

-          Mais ce n’est pas le Ponant, là au centre ! dit Ombeline, vexée de n’avoir pas trouvé.

-          S’ouvre-t-il ? s’impatienta Lina.

Cyriaque examina l’objet et fit coulisser latéralement l’un des côtés. L’intérieur était recouvert de velours turquoise. Et au milieu, comme dans un écrin, se trouvait une fiole argentée, sculptée par les gnomes. On aurait dit une théière marocaine, en miniature. Ombeline s’en saisit:

-          Je sais ce que c’est !

-          Ah bon ?

-          C’est une fiole antique qui contient une poudre magique.

-          Décidément, vous et les poudres magiques ! dit Anaëlle, sarcastique.

-          Elle doit être saupoudrée à un endroit précis pour révéler son usage. Elle ne doit pas toucher autre chose que cette fiole et cet endroit !

-          Un endroit précis ? Donne-moi la fiole, Ombel, dit Lina.

Pour l’ouvrir, il fallait tourner un tout petit couvercle d’argent. Elle y parvint et se dirigea vers le triangle du Ponant. Elle saupoudra délicatement la pointe du triangle et toute sa surface.

Rien ne bougea. Ils allaient pousser un soupir de découragement lorsque le sol se mit à trembler furieusement. Le lustre de cristal du hall tintait. Les murs vibraient. Toutes les lattes du triangle se décollèrent une à une et flottèrent un instant dans les airs, comme en lévitation, puis s’imbriquèrent les unes dans les autres, jusqu’à former une forme sphérique. L’énorme boule de bois se tenait là, devant eux, immobile. Soudain, elle tourbillonna sur elle-même et lorsqu’elle s’arrêta, elle s’ouvrit. Une fumée bleue envahit la pièce, emplissant l’atmosphère d’une senteur de lavande. Lina, Ana, Ombeline et Cyriaque avaient été projetés à terre sous le souffle. Ils se dressèrent sur leurs jambes quand le calme revint. Ce fut Lina qui, la première, plongea la main dans la sphère. Elle en retira, triomphante, une épée surmontée d’une pierre brune étincelante.

-          Un œil de tigre ! s’exclama Cyriaque. On disait qu’il y en avait un sur l’épée d’Alard. C’est une pierre de protection !

-          Tu avais raison, dit Anaëlle en serrant Lina dans ses bras. Nous avons trouvé le trésor des quatre fils Aymon !

-          Tu parles du trésor ? Mais il n’y a que leurs armes ! dit Lina en retirant la lance ornée de cristal de roche, une pierre transparente qui, selon Ombeline, éloignait les ténèbres. Il y avait également le bouclier de Guichard, dont les contours et le centre étaient des aigues marines et l’armure de Renaud, décorée de rubis. Je pensais que leur trésor était plus fourni ! Il n’y a aucune pièce d’or, aucun bijou !

-          Mais, Lina, commença Cyriaque, tu n’as pas remarqué que la latte avait été déplacée ? Quelqu’un s’est déjà servi, avant nous.

-          Dites, les amis, je ne veux pas vous presser, mais il faut que l’on se dépêche, nous avons fait du bruit, j’ai peur que quelqu’un s’aperçoive de notre intrusion, coupa Luminille.

-          Tu as raison, Luminille. Comment va-t-on transporter tout ça ?

-          Attendez, dit Ombeline en comparant les armes. Nous sommes trop peu pour tout porter. Mais, regardez : sur les quatre armes, il y a chaque fois une pierre taillée dans la même forme.

-          On dirait des gouttes.

-          Comme là où se trouve l’énigme ! dit Lina. Ce sont ces pierres qu’il nous faut. Arrachons-les et allons-nous-en.

Heureusement, les pierres sautèrent vite de leurs sertis et tintèrent bientôt dans le petit sac que Lina tenait contre son cœur. Lorsqu’ils eurent refermé la sphère, le même chamboulement s’opéra en sens inverse : les lattes dansèrent et replongèrent à l’endroit où elles se trouvaient dans le sol. Cyriaque rangea le petit coffret à sa place et les murs cessèrent de trembler. La troupe se remit en marche, espérant ne pas avoir été vue. Ils pénétrèrent dans la cave, si pressés, qu’ils ne virent pas les yeux bruns d’un garçon de leur âge les épier, du haut de l’escalier de marbre. Lorsque celui-ci arriva dans la pièce, il ne vit rien d’anormal. Pour lui, rien n’avait disparu. Il se dit qu’il connaissait ces deux filles. Après un moment de réflexion fatiguée, il pensa avoir rêvé et retourna se coucher.

Pendant ce temps, Lina et les autres avaient rejoint Sir Gontran.

-          Vous en avez mis du temps, mes chers amis. J’ai pu dormir quelques heures.

-          Le jour ne va pas tarder à se lever, dit Ombeline en pointant le doigt vers l’Est où les faibles lueurs de l’aube commençaient à poindre.

 

-19-Une autre histoire

(...)Réveillés par le chant des oiseaux, les filles attendirent que Luminille revienne de son observatoire pour être certaines que Claire était sous sa douche. Elles entrèrent en douce dans la cuisine et déposèrent les petits pains au chocolat tout chauds qu’Ombeline avait fait apparaître du Royaume.

 

-          C’est une nouvelle formule que je viens d’apprendre. La Reine m’a permis de m’en servir à bon escient. Je peux faire venir de quoi nous sustenter de temps en temps, ainsi que certains objets, s’ils ne sont pas trop lourds…

-          Ah bon ? Vous mangez aussi des petits pains au chocolat, vous, les fées ? demanda Anaëlle, étonnée.

-          Non, pas nous. Ce sont les lutins et les gnomes, parfois, qui en mangent. Les lutins, autrefois ont appris la recette aux hommes qui l’ont banalisée… avant, c’était un repas de fête !

-          Cela l’est toujours pour nous, précisa Cyriaque. Nous n’en mangeons que lors des solstices. Un lutin doit en préparer en douce, sinon Ombeline n’aurait pas pu les faire venir, continua-t-il, souriant en imaginant la tête de l’un de ses amis lutins qui se retournerait et se demanderait où il avait bien pu déposer ses viennoiseries…

Lina était rassurée : elle savait que ses amies les fées pourraient toujours avoir de la nourriture fraiche pour se nourrir, grâce à ce nouvel acquis d’Ombeline.

-          Vous êtes déjà là, les filles ? Plutôt matinales ! dit Claire au sortir de sa douche.

-          Nous avions envie de nous balader dans la fraîcheur matinale.

-          Vous parlez d’une fraîcheur… il pleut !

-          Euh… oui ! Nous avions surtout envie de jouer au jardin.

-          Nous vous avons apporté des petits pains au chocolat, Madame Bardin.

-          Merci, mes toutes-belles. Moi, je vais chez mon éditeur toute la journée. J’emporte le paquet, je déjeunerai en conduisant.

-          Bonne journée !

-          Bonne journée, Moune.

-          Amusez-vous bien!

-          Promis ! répondirent les filles en chœur.

Ils montèrent dans la chambre de Lina et se posèrent sur le lit. Lina ouvrit son sac et ils observèrent les pierres.

-          Nous avons le cristal pour l’air…l’œil de tigre pour la terre… l’aigue marine pour l’eau et le rubis, pour le feu ! énuméra Ombeline.

-          Le seul hic, commença Lina, c’est qu’à cet endroit, nous aurions dû trouver l’Essentiel et non les quatre éléments.

-          Que veux-tu de plus !? Peu importe que cela n’ait pas été leur place ! Nous les avons.

-          A mon avis, remarqua Lina en faisant tourner le rubis entre ses doigts, les pierres doivent être insérées dans les symboles gravés sous la clairière de l’énigme. Il me semble que ce sont les mêmes formes !

-          Oui, j’avais remarqué ce curieux dessin, dit Anaëlle. On aurait dit quatre gouttes centrées vers une autre forme. Voici les quatre gouttes !

-          Donc, logiquement, nous devons chercher une sorte d’alliage rare et inconnu de chacun d’entre nous, en forme de cercle ou de sphère.

-          C’est ça ! applaudirent les autres.

-          Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! constata Lina.

-          L’énigme nous indiquait l’emplacement de cette sphère, de l’ultime élément. Comment allons-nous le trouver !? s’interrogea Cyriaque, soudainement inquiet.

-          C’est bien là le problème qui se pose à nous ! dit Lina, soulagée de se faire enfin comprendre. Quelqu’un a dû déplacer les pierres. Mais qui ? C’est cela que nous devons trouver !

-          Oui ! Tu as raison.

Devant l’abattement et l’épuisement visibles de ses amis, Lina proposa qu’ils se reposent durant la première partie de la journée, afin d’être frais et dispos pour se mettre en recherche l’après-midi. Leurs idées seraient ainsi plus claires. Tous acquiescèrent. Ils se glissèrent donc sous le duvet violacé, les deux animaux roulés en boule.

Tandis que ses amis s’endormaient, le cerveau de Lina turbinait et était près d’exploser tant les questions fusaient. Lorsqu’elle fut certaine que les autres dormaient, elle se glissa hors des draps, enfila son sweater Levis et sortit de la maison. Elle attrapa son vélo et pédala à toute allure en direction d’Aywaille. Elle avait une idée derrière la tête, et voulait la vérifier au plus vite, malgré les giboulées de cette fin de mars qui lui brûlaient le visage. Trempée de sueur, elle déposa son vélo dans le parking du GB Partner et courut jusqu’à l’herboristerie. Attiré par le grelot qui tintait, Anastase Ignace arriva de l’arrière-salle, amenant avec lui une nuée de senteurs de patchouli.

-          Ah ! C’est toi ! Alors, tu as trouvé le trésor ?

-          Quoi ? fit Lina.

-          Je pense qu’il est temps que l’on se parle.

Il passa devant Lina et verrouilla la porte vitrée. Ensuite, il invita Lina à le suivre dans l’arrière-boutique. Cette petite pièce de quatre mètres carrés environ était surchargée de toutes les réserves de thés, d’herbes, de cafés venus de tous les horizons. Lina se demandait comment les murs tenaient encore droit avec toutes ces étagères. Le cagibi donnait sur la maison du vieil homme. Lina pénétra dans un vaste salon ouvert sur un petit jardinet tout propret. Le salon communiquait avec une kitchenette à côté de laquelle se trouvait un escalier de bois brut. Lina s’assit dans l’un des canapés de velours kaki dont les pose-tête étaient soigneusement couverts de napperons. Une table basse de bois trop lourd accueillait des sous-verres aux motifs floraux sur lesquels Anastase posa deux tasses fumantes. Lina et Luminille regardaient l’intérieur qui semblait venir d’une autre époque : la moquette charnue vert foncé, le papier peint aux motifs vintage, le lustre de verre blanc aux formes arrondies. Rien ne semblait avoir bougé depuis des années. Semblant lire dans ses pensées, le vieil homme coupa le silence de sa voix chevrotante :

-          Je n’ai rien changé depuis que Léontine nous a quittés. C’est elle qui faisait la décoration et qui se chargeait du jardin. Y renoncer aurait été comme renoncer à elle.

En prononçant ces mots, il avait regardé un bahut surchargé de cadres représentant des photos de famille et des photos d’une dame au sourire ravageur. Elle avait les cheveux auburn et les yeux noisette.

-          Demande à ton amie si elle souhaite un pétale de rose pour le déjeuner.

-          Pardon ?

-          Oui ! Je la vois, ta fée de lumière, elle est posée sur le lobe de ton oreille gauche. J’y crois, alors je peux les voir…

-          Je veux bien un pétale, Monsieur, dit Luminille d’une voix timide.

Lina était incapable de parler. Anastase l’invita à téléphoner chez elle pour convier ses amis à cette petite réunion. Moins d’une minute plus tard, Ombeline, Cyriaque et Anaëlle apparurent au milieu du salon. Anaëlle se tenait l’arrière du crâne : elle avait atterri à plat sur le dos.

-          Epatant ! applaudit le vieillard. Comment appelez-vous ce phénomène ?

-          L’étoilisation, répondit Lina.

Ils étaient tous les cinq ébahis, bouches presque ouvertes, l’esprit méfiant mais curieux, devant un Anastase Ignace tout ému de voir que le travail et la foi d’une vie entière s’étaient révélés justes.

L’histoire du vieil homme commença comme dans un livre de contes.

« Au Moyen-âge, ma famille habitait sur les coteaux de l’Amblève. Une famille très pauvre. A l’aube d’une journée printanière magnifique, mon aïeul découvrit un panier de saule frais tressé dans lequel reposait une petite fille aux yeux d’émeraude. Ils la prirent sous leur aile et s’en occupèrent à merveille, durant toute cette journée. Malheureusement sans le sou et ne voulant pas mener cette petiote à sa perte, ils décidèrent de l’amener sous le porche de la ferme du château, qui avait été épargnée par les flammes. Une maison chaude où elle n’aurait jamais à se plaindre de la faim. Mes ancêtres devaient fuir vers la ville, car le château détruit, il ne leur restait rien et ils voulaient commencer une nouvelle vie. Dans les linges de l’enfant, ils avaient trouvé un collier qu’ils gardèrent précieusement, en souvenir du nouveau-né à qui ils s’étaient si fort attachés. Cette légende fut oubliée de tous. Ne dit-on pas que Câliniah a déposé sa fille sous le porche d’une ferme ? Mais la tradition orale a perdu ce fait essentiel pour nous. C’est pourtant la clé ; Câliniah était ton ancêtre, Lina. Et ma famille a recueilli le fruit de son amour pour Renaud. Ce passage de l’histoire a été gardé sous silence, sans doute pour préserver le monde des fées des incursions humaines. Le fait est que lorsque j’ai désiré effectuer des transformations pour aménager mon herboristerie, j’ai découvert une cache emmurée. J’y ai trouvé, outre quelques vieilles pièces de monnaie, le bijou elfique enveloppé d’un tissu sur lequel était écrite la courte vérité. Je pris quinze années entières pour déchiffrer les runes qui sont gravées dans ce métal inconnu des hommes. »

 

Il avait parlé posément. Il saisit un coffret d’acajou dont l’intérieur était de velours pourpre. Il brandit devant cinq paires d’yeux étonnés un collier dont les reflets dorés rappelaient les flammes du feu éternel. Deux fines chaînettes que tous connaissaient bien se fondaient l’une à l’autre pour devenir un tube tout fin qui accueillait l’énigme runique. Les deux parties plus solides formaient deux arcs de cercle qui se joignaient par trois pendentifs différents. L’un représentait le symbole des Hélios, soit un petit soleil entouré d’un chèvrefeuille que Lina, Cyriaque et Ombeline portaient autour du cou, un autre représentait la croix celtique et le dernier ressemblait à une clé tout ornée d’entrelacs très fins. Lina se demandait ce qu’elle pouvait ouvrir tant elle était fine et petite. Cyriaque se pencha vers elle et lui glissa à l’oreille :

-          Ce vieillard semble dire vrai, seul un gnome peut travailler les métaux de la sorte.

-          Bien sûr, que je dis la vérité, petit, répondit Anastase en lui tendant le collier. Tous s’empressèrent de l’observer minutieusement, tandis que le vieil homme poursuivait :

« J’ai traduit poème au fil de mes recherches :

 Les quatre ultimes de la Réalité,

Ensemble enlacés,

De notre Terre Bleue,

Fera s’enfuir le Sombreuh,

L’essentiel sous le Trèfle  repose,

Au Ponant attendra sous la Rose. 

Au début, je dois dire que je n’ai strictement rien compris à ce charabia ! Une fois que j’en ai saisi le sens et l’endroit où était caché le trésor des quatre fils Aymon, je me suis rendu à l’église où j’ai approché la libellule de pierre. A partir de ce moment, je mis cinq années de plus pour trouver comment la libérer de sa prison rouge. Puis, je me rendis à Montjardin où je découvris les armes, mais pas de montagne de pièces d’or comme le laissait entendre la légende. Je fus quelque peu déçu, sur le moment. De plus, je me demandais pourquoi les armes pouvaient bien être qualifiées d’ « ultimes ». Je les remis donc en place, désireux de poursuivre mes recherches plus loin. Car à ce stade, j’ignorais encore ce que le petit peuple craignait tant et appelait le Sombreuh. Je me documentai sur les civilisations celtes, les seules qui appuient l’existence des fées. C’était l’un des points sur lequel j’étais le plus sceptique, car je ne croyais pas aux fées qui, pour moi, n’étaient bonnes qu’à faire rêver les enfants. Une fois plongé dans mes recherches, je dus me rendre à l’évidence : Câliniah avait été une grande fée, très importante et très bonne. C’est elle qui avait poussé les petits peuples à vivre en communautés pour s’unir contre le mal, soit le Sombreuh.  Je sus donc qu’il y avait une entrée non loin d’ici pour pénétrer dans le Royaume que Câliniah avait fondé, avant de mourir d’amour. Je savais que ni elfes, ni lutins ou autres créatures magiques ne se montraient plus aux hommes par crainte que ceux-ci ne profitent d’eux. Jamais je n’eus l’occasion de croiser la moindre fée. Ma femme me prenait pour un fou lorsque je lui contais mes histoires. Et vu l’incrédulité des hommes, je baissai les bras et abandonnai l’espoir de prouver au monde la vérité. Je compris, suite au drame qui unit ta maman au château d’Emblève, que le Mal se rapprochait et que je n’étais pas le seul sur la piste du Royaume. Je compris également que les armes étaient l’une des clés qui permettrait au petit peuple de survivre contre le Mal, mais, j’étais impuissant, car il me manquait l’ultime. Je continuai ma petite vie tranquille, n’espérant plus. C’est pourquoi je fus si ému de te voir, accompagnée de ta fée de lumière ! J’avais eu raison ! »

-                     C’est pour cela que vous m’avez aidée ?

-                     Oui ! Je savais que toi, tu y arriverais : tu étais bien entourée et tu étais déjà plus avancée que moi à l’époque.

-                     Non, nous n’avons toujours pas l’ultime. Nous sommes au même point que vous. Il nous manque l’ultime élément qui pourra nous permettre de fabriquer l’arme qui vaincra les Akzors.

-                     Les Akzors ?

-                     Oui, le Sombreuh est dirigé par un mage terrible, Akzorus qui appelle son armée les Akzors, compléta Ombeline. Il était cousin des quatre frères. Autrefois, il s’appelait Mauguis.

-                     Mauguis ? Je pensais que c’était l’un des noms de Merlin ?

-                     Non, Merlin est un mage qui pratique la bonne magie, au contraire de Mauguis, dit Ombeline.

-                     Les armes renfermaient les quatre premiers éléments : le cristal blanc, c’est l’air ; l’œil de tigre, c’est la terre ; l’aigue-marine, c’est l’eau et le rubis, c’est le feu, poursuivit Cyriaque en sortant de son sac de peau les pierres en forme de goutte.

-                     Mais il nous manque le cinquième, dit Anaëlle.

-                     Nous ne savons pas où il est, car l’énigme indique son emplacement. Or, là-bas, il y a les quatre autres. Quelqu’un les a donc déplacés.

-                     Je pensais que c’était vous.

-                     Et non, mademoiselle, ce n’est pas moi. J’ai vu la même chose que vous.

La déception devait se lire sur les visages de nos amis, car Anastase leur proposa une tasse d’un vrai chocolat fumant.

-          Le chocolat amène des endorphines, dit-il.

Il avait l’air si content de rencontrer des Hélios que Cyriaque et Ombeline se regardèrent, puis Cyriaque commença :

-          Je suis un lutin. Ombeline est une fée.

-          Luminille est une fée de lumière, une fée qui accompagne une humaine qui a du sang féérique, pour lui montrer la voie.

-          Nous habitons le royaume d’Héoliadenn qui commence dans la forêt du château. Nous nous appelons Hélios mais nous sommes différents peuples qui vivons ensemble dans un but unique : nous défendre et défendre les hommes d’Akzorus.

-          Il y a les fées, les elfes, les minuscules, les lutins et les lutines, les terrananos, les gnomes, les nains, les farfadets, les aqualines, les flammèches et le peuple des mousses qui vivent en communauté.

-          Tout ça ? s’exclama Anastase.

-          Oui. Chaque peuple a son village et chaque peuple a sa tâche à accomplir pour le bien de tous. Les nains font à manger, par exemple. Les gnomes sont sages, travaillent les métaux et sont experts en pierres précieuses. Les fées ont toutes des dons magiques précis. Lorsqu’elles ont fini leur apprentissage, elles reçoivent la mission qu’elles vont accomplir le reste de leur vie. Il y a la dame du lac, par exemple, qui a choisi de garder l’épée Escalibur, ou encore la fée bleue qui réalise les vœux des enfants.  

-          Les minuscules s’occupent des insectes, les terrananos assainissent la terre,…

-          C’est merveilleux. Et qu’avez-vous, comme moyens de défense ?

C’était une question que Lina ne s’était jamais posée. Ombeline et Cyriaque avaient l’air heureux de répondre à ces questions.

-          Nous possédons des épees et des glaives qu’aucun métal ne saurait briser.

-          Les lutins ont des arcs magiques aux flèches mortelles.

-          Les fées peuvent créer des philtres et lancer des incantations. Les elfes retournent les saisons contre nos ennemis ou leur envoient les fleurs mortelles que recèle la nature. Le peuple des mousses est expert en camouflage et espionne les alentours pour prévenir tout changement douteux. Les gnomes ont des lance-pierres-précieuses qui atteignent toujours les ennemis en leurs points faibles.

-          Les flammèches font bruler tout sur leur passage et les aqualines mettent sous eau les ennemis, guidées par Perlezenn, la fée de la rivière Féria.

-          Pernelle, notre reine a même réussi à rallier des griffons à notre cause. Le peuple des hippocampes est également de notre côté.

-          Des hippocampes ? Mais, c’est minuscule ! s’exclama Anaëlle.

-          Ça ne doit pas faire beaucoup de tort ! dit Lina.

-          Je ne veux pas parler des hippocampes que vous connaissez ! s’indigna Cyriaque. Mais des maîtres des mondes sous-marins. Tu n’en as sans doute jamais vus, ils sont gigantesques et très puissants avec leurs bustes de chevaux et leurs queues de poissons géants.

-          Les Pégasiens et les centaures sont sur le point de se rallier à notre cause, continua Ombeline.

-          Ainsi que certains génies et esprits dotés de pouvoirs magiques étonnants.

-          C’est impressionnant, conclut Anastase.

-          Ce n’est pas tout, mais il faudrait des heures pour…

-          Et vos ennemis ? coupa le vieil homme d’un ton inquiet.

-          Les tourmentines amènent la tourmente et les illusines créent des hallucinations qui mènent à la folie. Akzorus a également convaincu des sorcières, des gnomes et des nains. Et des mauvais esprits, comme les cauchemars, qui s’assoient sur les poitrines pour étouffer…

-          C’est terrible !

-          Ce n’est pas tout ! reprit Luminille. Les géants ainsi que le peuple cerbère et les minotaures l’ont rejoint.

-          Des esprits hurleurs qui rendent fou, la gorgone…

-          Et nous ne savons pas de quoi son armée se constitue précisément. Seule certitude : ils sont très forts. C’est pourquoi nous devons réussir à construire l’arme dont Câliniah nous a laissé le secret ; elle pourrait nous aider à repousser les forces d’Akzorus.

Les Hélios se laissèrent questionner encore sur les formations des fées et sur l’acquisition de leur sceptre ou bâton aux pouvoirs surnaturels ainsi que sur la vie à Héoliadenn. Puis, Lina et Anaëlle donnèrent le signal du départ.

Ils n’étaient pas plus avancés que le matin même. Mais, ils avaient gagné une personne de confiance et avaient clarifié certains points. De plus, ils détenaient un indice supplémentaire : le collier de Câliniah, que Lina portait autour du cou.

 

-20-Harroco

 Avril s’effilocha tout comme mars avant lui. Le moral des troupes n’était pas au beau fixe : d’une part les examens finaux approchaient à grands pas, d’autre part, ils avaient eu beau fouiller le château pierre par pierre, ils n’avaient toujours pas mis la main sur l’élément manquant.Un printemps tardif arriva enfin, laissant apercevoir les premiers bourgeons et le vert tendre des jeunes feuilles. Les elfes des saisons faisaient leur travail à merveille, n’oubliant aucun détail pour aider la nature à éclore, aidées par les terrananos qui poussaient les graines vers le ciel. La luminosité nouvelle donnait à Lina et Anaëlle l’illusion d’un certain apaisement ou d’une liberté retrouvée. Il n’en était rien…Le temps n’en finissait pas de passer. Akzorus faisait gonfler son armée et absorbait de plus en plus d’espèces magiques à sa cause. Il avançait également plus loin dans le territoire magique et se rapprochait du Royaume. Les Hélios avaient peur. Pernelle ne savait plus comment les rassurer.Le mois de mai arriva avec les clochettes de senteur des muguets.Un jour où Lina réfléchissait dans son bain à l’endroit où pouvait bien être caché ce foutu élément, Claire entra dans la salle de bain.

-          Coucou ma puce !

-          Hmmm…

-          Ça fait longtemps que nous n’avons plus papoté entre filles, j’en avais envie.

Elle s’assit contre la baignoire pour se maquiller et elles parlèrent comme deux amies. Ce jour-là, Claire se faisait les yeux dans son petit miroir lorsqu’elle regarda Lina dans la glace. Son regard s’attarda sur le cou de sa fille. Elle se retourna, souriante et intriguée.

-          Où as-tu acheté ce collier ?

-          Je ne l’ai pas acheté, répondit Lina surprise.

-          Il est superbe ! Je peux le voir ? dit Claire en tendant la main. Où l’as-tu eu, dans ce cas ?

Lina était quelque peu embarrassée, car elle ne voulait plus mentir à sa mère. Elle défit l’attache en réfléchissant à ce qu’elle allait pouvoir dire. Heureusement, Claire tira des conclusions pour elle.

-          Serait-ce ton Maxime qui te l’aurait offert ?

Lina se contenta de sourire bêtement en rêvant à cette éventualité.

-          C’est comique, cette petite clé décorée, remarqua Claire.

-          Pourquoi ?

-          Elle me rappelle quelque chose.

-          Quoi donc ?

-          C’est assez flou.

-          Cherche, Moune. Sil te plaît ! implora Lina, le cœur palpitant.

-          Je n’y avais plus pensé depuis des lustres. J’avais rangé ça bien profondément dans ma tête, jurant de ne plus y songer.

-          Mais raconte !

-          Tu te souviens de ma chasse au trésor infructueuse ?

-          Oui, bien sûr.

-          Cette nuit-là, j’ai perdu ma meilleure amie pour toujours. Elle semblait possédée. Certaine qu’elle devait aller droit devant elle pour trouver le trésor.

Lina pensa aux illusines. Elles avaient dû brouiller l’esprit de Sophie.

-         Le problème, c’est que devant elle, il n’y avait que le vide. Lorsqu’elle tomba, je suis restée de marbre. J’ai vu son pied heurter une grosse pierre qui la précipita, elle et des morceaux de mur, dans la cour centrale du château. Lorsque je suis descendue avec les autres pour constater l’inéluctable, je n’ai rien vu. Juste des pierres étalées ça et là, et tout ce sang.

Claire reprit son souffle un instant.

-          Quelques jours plus tard, je suis retournée sur les lieux de l’accident. Je n’étais plus moi-même. Je culpabilisais énormément, puisque c’était moi qui étais l’instigatrice du projet « chasse au trésor ». Et Sophie était morte à cause de moi. Je cherchai une explication à cette chute horrible. Je fouillai désespérément le château, arrachant les banderoles de la police, crachant mes larmes. Je ne trouvai rien qui put expliquer rationnellement sa chute, mais je continuai de fouiller. Epuisée, je m’assis sur un rocher couvert de mousse. En me relevant, j’allais mieux, je me souviens que j’étais apaisée. Je sautai du rocher et mon pied heurta une pierre rectangulaire salie de terre. Enfin, je pensais que c’était une pierre, car le son m’étonna. Normalement, le son aurait dû être sourd, et là, il sonnait creux. Comme du métal. J’ai pris la pierre entre mes mains. Et je l’ai frottée. C’était un petit coffret en argent. Mon cœur battait si vite dans ma poitrine. J’avais la sensation d’avoir trouvé le trésor. C’est à ce moment-là que les autres sont arrivés. Je courus vers la maison. Ils ont prétendu que j’étais devenue invisible, cette bande d’imbéciles ! Comme si c’était possible. C’est pour ça qu’on m’a collé la réputation de sorcière.

-          Et le coffret ?

-          Je ne sais pas ce qu’il est devenu, je ne l’ai jamais revu.

Lorsque Claire avait prononcé le mot « invisible », Lina avait tout de suite pensé au grimoire, elle profita de la conversation pour demander à Claire si elle était allée récupérer le livre précieux.

-          Oh ! Je suis désolée, ma toute belle ! Je te l’avais promis il y a des mois… cela m’est complètement sorti de la tête. Je retournerai à la bibliothèque pour le chercher, c’est juré. Tu ne m’en veux pas trop ?

-          Ne te tracasse pas, maman. Ce n’est pas grave, tu n’as plus besoin d’y retourner, c’est de l’histoire ancienne.

Le téléphone sonna et Claire sortit de la salle de bain en lançant un baiser.Lina réfléchissait. Ce que Luminille lui avait dit était donc réel : elle s’était bel et bien rendue invisible pour récupérer le grimoire ! Elle se sentit tout drôle. Comme fière d’avoir réussi à réaliser de la magie.

-          Et lorsque tu as demandé à la libellule de nous révéler son secret, tu lui as parlé en runique, la rassura sa fée de lumière.

Lina avait les larmes aux yeux : elle avait maintenant la sensation extraordinaire d’appartenir au Royaume d’Héoliadenn. Elle reconnaissait enfin son sang magique !Sa réflexion se concentra à nouveau sur le coffret. C’était la clé, elle en était sûre, maintenant. Tout excitée, elle en parla à ses deux amis tandis qu’elle s’habillait. Le soir, elle allait au restaurant avec Claire et Anaëlle et puis, direction le cinéma.Elle fit ses confidences à Anaëlle dans la voiture et elle battit des mains. La fin était proche, elles le sentaient toutes les deux.Deux journées s’écoulèrent. Elle était assise sur les marches du perron lorsqu’elle entendit une voix grenailleuse :

-          Alors, mademoiselle, nous n’avons pas la forme, ce soir ?

-          Ah ! Pierre ! Tu es toujours là ?

-          Et oui… alors ?

-          Non, pas trop la forme.

-          Pour quelle raison ?

-          Je cherche un coffret en argent que ma maman a perdu il y a quelques années.

-          Ça ne me dit rien. Je n’étais pas encore là, je pense. Va donc te coucher tôt ! La nuit porte conseil…

Elle ne sut pas pourquoi, mais elle suivit les conseils de la petrus. Elle alla se coucher tôt, laissant sa maman devant la télévision, seule.

Boum !

Boum !

Lina se réveilla en sursaut. Elle ne savait pas si elle venait de rêver, mais elle avait compris ! Elle réveilla Cyriaque et Ombeline et les dirigea tout droit vers le grenier dans lequel elle n’avait plus mis les pieds depuis des mois 

-         Harroco ? appela-t-elle. Es-tu là ?

-          Qui appelles-tu donc, Lina, s’énerva Blue, endormi.

-          Harroco ?

Un cafouillis se fit entendre  au-delà des toiles d’araignée.

-          Mademoiselle ? C’est vous avec la fée de lumière ?

-          Oui !

-          Qu’y a-t-il ? demanda Harroco en tremblotant et se protégeant derrière sa compagne.

-          Je voudrais te poser une question, approche, n’aie pas peur.

Le farfadet,craintif, s’approcha doucement.

-          Il y a quelques années, ma maman est revenue avec un coffret tout sale. Tu te souviens ? Ta tâche étant d’aider les habitants, tu l’as pris, n’est-ce pas ?

-          Tu ne dois pas te fâcher, dit le farfadet tout ratatiné de peur.

-          Je ne suis pas fâchée, Harroco, je voudrais juste que tu me le donnes. Il est très important pour le Royaume. Si c’est toi qui l’as, tu serais le sauveur des Hélios !

-          C’est vrai ?

-          Bien sûr.

Les deux autres ricanaient derrière Lina. Mais ils furent bien étonnés, lorsque le farfadet, qui avait disparu pendant quelques minutes sous les cartons, revint avec le coffret. Lina fut surprise de constater que c’était le coffret sur lequel elle avait trébuché lorsqu’elle cherchait de quoi meubler sa chambre. Si elle avait su ! Elle le saisit et prit le collier dans ses mains. Son geste sûr fut coupé net par la voix de Claire qui résonna dans le couloir.

-          Linou ?

-         

-          Ma chérie, c’est toi ? Que fais-tu là haut à cette heure?

-          Je n’arrivais pas à dormir, Maman, j’entendais des souris, mentit Lina en cachant le coffret sous une couverture qui trainait.

-          Des souris ? Je mettrai du poison demain.

-          Non, maman, pas de poison, les pauvres petites bêtes. J’enverrai Blue et elles partiront, s’empressa de répondre Lina devant l’œil horrifié d’Ombeline.

-          Allez, viens dormir, maintenant.

-          Oui, maman.

Elle avait sous le bras la couverture poussiéreuse qui enveloppait le coffret d’argent. Heureusement, Claire était bien trop fatiguée pour remarquer quoi que ce soit d’anormal. Après de doux baisers, Lina sauta sur son lit. Elle observa le trésor avec les autres. Ombeline murmura :

-          Il serait peut-être plus cordial de l’ouvrir avec Ana, elle nous a beaucoup aidés.

-          Oui, tu as raison, réfléchit Lina. Nous remettrons cette expérience à demain soir.

Elle rangea le coffret sous le lit. Tous s’endormirent heureux, cette nuit-là ; ils sentaient le dénouement enfin proche.Le lendemain, c’est fatiguée mais excitée comme une puce qu’elle arriva auprès d’Anaëlle pour lui annoncer la bonne nouvelle.

-          Nous t’avons attendue pour l’ouvrir. Pourras-tu venir chez moi, ce soir ?

-          Sans doute, il faudra que je demande à maman. C’est super gentil de m’avoir attendue, ça me touche.

-          Tu es mon amie. Sans toi, jamais je n’aurais pu y arriver…

Elles s’enlacèrent et Lina dévoila en catimini le coffret qu’elle avait emporté dans sa mallette, par peur de le perdre à nouveau. Ombeline était cachée dans son sac habituel et se montra câline lorsque les filles la caressèrent.La journée passa on ne peut plus lentement, tant les filles étaient impatientes d’ouvrir leur trésor.

-21-L’attrapombre

Arrivées dans la chambre de Lina, elles firent rapidement leurs devoirs, contrôlés par Claire.Ensuite, vint l’heure du souper que les filles expédièrent. Elles insistèrent pour monter tôt, ce qui étonna Claire qui se dit que sa fille grandissait, et qu’elle avait besoin de parler avec son amie.Lina sortit le précieux colis de sa mallette, déroula la couverture et posa le coffret sur son bureau. Elle avait fermé la porte de sa chambre à clé, car Ombeline et Cyriaque s’étaient désanimorphosés.Un problème majeur se posa immédiatement : le coffret ne possédait aucune serrure. Lina avait posé le collier à côté et les métaux semblaient identiques. Mais comment l’ouvrir ?

Le coffret passa de main en main. Il était en argent finement travaillé. Avec les entrelacs, le soleil entouré de chèvrefeuille -symbole des Hélios- et la croix celtique un peu partout. Il y avait aussi six scènes représentées sur les différentes faces. Des scènes de tous les peuples d’Héoliadenn qui combattaient le mal. C’était la première fois que les filles voyaient une représentation du mage Akzorus. Il avait l’air effrayant. Très grand, un haut chapeau sombre et des yeux qui lançaient des éclairs. Ses doigts étaient squelettiques et sa silhouette famélique. Ombeline, Luminille et Cyriaque avaient frissonné à la seule vue de ce personnage maléfique.

Nul d’entre eux ne savait comment ouvrir le coffret. Lorsqu’Anaëlle l’eut en main, elle éclata de rire ! Les autres, la regardèrent, étonnés.

-          C’est un truc vieux comme le monde !

-          Pardon ?

-          C’est une boite magique, ton coffret. La serrure doit être cachée sur l’un des côtés. Attends…

En forçant délicatement sur l’une des parois du coffret, Ana trouva celle qui devait coulisser. Ensuite, elle put pousser en avant la face antérieure qui découvrit une toute petite serrure au milieu d’un rectangle garni de chèvrefeuilles dorés.

-          Comment sais-tu ça ?

-          Quand nous sommes partis au Maroc, papa m’avait offert une boîte magique à secrets en acajou. Elle avait un mécanisme unique, comme toutes celles qui étaient fabriquées à Essaouira ! J’adorais tellement ça que je regardais les artisans les fabriquer… Ils me proposaient d’essayer de les ouvrir… c’est devenu comme une seconde nature!

-          Fantastique ! s’extasièrent les autres.

Lina retira son collier et approcha la clé de la serrure. Tous retenaient leur souffle. Lorsqu’elle l’introduisit et qu’elle la tourna, rien ne se produisit. C’est lorsqu’elle ouvrit la porte minuscule qu’un nuage écarlate sortit du coffret. Lina eut le temps de saisir une petite bille argentée toute lisse, si brillante qu’ils auraient pu se voir dedans si, dans le même temps, ils n’avaient pas été happés par le coffret. Il devait y avoir un enchantement d’étoilisation pour quiconque ouvrirait la petite boite en argent. Ils se retrouvèrent sur le sol terreux de la salle du trône de la reine Pernelle qui sursauta en voyant la petite troupe atterrir en désordre.

Ce fut Cyriaque et Ombeline qui réagirent les premiers, les filles se massant les parties du corps qui avaient été malmenées durant ce rapide transfert.

-          Ma Reine, commença Cyriaque, nous avons réuni les cinq éléments.

-          Nous avions déjà les quatre premiers : le cristal blanc, le rubis, l’aigue marine et l’œil de tigre.

-          Et aujourd’hui, nous avons trouvé le dernier.

-          Montrez-moi, demanda Pernelle, impatiente.

Lina ouvrit son sac et montra les quatre gouttes de pierres précieuses. Ensuite, elle ouvrit la main et découvrit la sphère brillante entourée d’un halo violet.

-         Impossible ! s’écria la Reine. La sphère de la vie !

Cyriaque, Ombeline, Luminille et les filles échangèrent un regard.

-          C’est la sphère de la vie que vous avez trouvée là ! Les fées ne savent pas se reproduire. Elles existent et sont pures. Si elles meurent, il n’y en a pas de nouvelles : elles deviennent un élément naturel ou une étoile. On raconte que les premières fées furent créées par des dieux de la nature très anciens. A l’aide d’incantations magiques, ils ont créé cette sphère pure et lisse qui pouvait donner la vie à des créatures féériques, pour aider à préserver la nature. Selon la légende, toutes les fées seraient issues de cette sphère. Les dieux ajoutaient une spécificité différente pour chaque fée, leur donnant ainsi une tâche et une responsabilité uniques. Je n’aurais pas pensé voir un jour cette sphère. On dit qu’elle est forgée dans le métal de l’amour véritable.

Pernelle osait à peine la toucher.

-          Majesté, dit Lina, il faudrait peut-être nous rendre auprès de l’énigme.

-          Tu as raison, fille d’homme. Je voudrais vous féliciter, mes amis, d’avoir réussi cette mission. Il n’y a que moi au palais. Nous organiserons des festivités en votre honneur dès demain

La reine les invita à se placer en cercle et à se donner la main. Il s’étoilisèrent jusqu’à la clairière où était enfermée l’énigme. Pernelle refit les mêmes gestes que la première fois, et ils se retrouvèrent au sous-sol. Pernelle invita Lina à placer les pierres dans leurs écrins. C’est ainsi que Cyriaque plaça le cristal blanc : ils pensaient qu’il devait être placé à l’endroit le plus élevé, comme l’air. Ombeline plaça le rubis, du côté droit ; Ana l’aigue marine à gauche et Luminille plaça l’œil de tigre en bas. Lina prit une grande inspiration et avança la sphère tout près de la cavité ronde, au centre des gouttes. Lorsqu’elle fut assez proche, la sphère entra seule, comme aimantée par la roche.

Pendant un instant, rien ne se produisit. Puis, un tourbillon d’air tiède envahit la pièce, faisant tournoyer toute poussière ou feuille séchée. Un arc en ciel se dessina à la base des pierres, puis un sifflement strident se fit entendre. Il était tellement fort que tous portèrent leurs mains aux oreilles. Leurs cheveux leur collaient au visage et les empêchaient de voir ce qu’il se passait réellement. Au summum du sifflement, les pierres éclatèrent en morceaux, ce qui fit voler en éclats l’espoir des Hélios et des filles. La sphère s’éleva dans les airs et brilla comme un soleil. Elle appela à elle les morceaux des pierres précieuses et des morceaux de roche. Chaque élément volait autour de la sphère comme un mini-système solaire. La sphère aspira tout. Puis sembla imploser. Pernelle, Ombeline, Cyriaque, Lina et Ana furent projetés à terre par le souffle. Seule Luminille était encore consciente. Elle seule eut la chance de voir la sphère s’allonger jusqu’à devenir un long tube argenté, incrusté de fragments des rocher et des pierres précieuses qui formaient des motifs précis. Il tourna, se posa sur le sol et attendit. La fée de lumière comprit qu’elle devait éveiller les autres. La voix fanée de Câliniah se fit entendre :

« Le fruit de mon amour pour Renaud saura nous sauver. Pour vaincre Akzorus il lui faudra attraper son ombre avec ce kaléidoscope magique. C’est un attrapombre qui anéantira le mage. Soyez vigilants, perdre son ombre est sa plus grande crainte, il se méfiera… »

Le silence revint en même temps que mourut le tourbillon d’air. Ils se regardèrent, croyant avoir rêvé. Pernelle se leva, et approcha de l’attrapombre en lévitation. C’était un cylindre argenté d’environ 60 cm de long. La surface n’était plus lisse, mais incrustée de morceaux des pierres qui formaient une ondulation et au milieu, le petit soleil des Hélios et regardèrent tour à tour par la fine ouverture circulaire située sur l’une des faces. Ils virent la lumière qui se reflétait à l’infini, de miroir en miroir, offrant à l’œil un feu d’artifice de couleurs.

Pernelle était trop bouleversée pour qu’ils s’étoilisent. Ils reprirent le chemin du retour à pied.

-          Vous avez réussi. Vous avez réuni les cinq éléments.

-          Pourtant vous semblez triste, Majesté, souligna Ombeline.

-          Je le suis, en effet, ma belle, dit Pernelle, hésitante.

Lina savait ce qui la chagrinait. Elle aurait pu répondre à sa place.

-          Je pensais que nous n’aurions plus rien à craindre avec la confection de cette arme. Je pensais pouvoir sauver notre royaume.

-          Mais c’est le cas, Ma Reine ! dit Cyriaque.

-          Ne comprends-tu pas ? Il faudrait approcher Akzorus de bien près pour avoir la prétention de lui voler son ombre. Comment allons-nous faire pour réussir cela ? Je ne peux demander aux Hélios de risquer leur vie.

-          Mais n’avez-vous pas là une équipe de choc, Majesté ? l’interrompit Ana. Nous avons torturé nos méninges, marché dans l’eau, nous nous sommes étoilisés, miniaturisés… Nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin, tout de même ?

-          Je n’oserais vous demander de tenter ce périple, mes amis, vous avez déjà tant fait !

-          C’est notre mission, Pernelle, dit Lina. Nous sommes de ce peuple, et nous ferons tout pour le sauver et le préserver des forces du mal.

Cyriaque, Ombeline, Luminille et Ana acquiescèrent, devant une Pernelle émue.Pernelle convoqua tous les Hélios qui s’assemblèrent devant le palais. Pernelle s’avança, tenant l’attrapombre dans ses mains.

-          Chers Hélios ! Nous voilà sauvés ! Notre troupe que tant d’entre vous ont critiquée, notre équipe en qui peu d’entre vous avaient foi, a réussi à réunir les éléments nécessaires à la construction de l’arme magique qui vaincra les Akzors. Elle leva le kaléidoscope bien haut pour que tous puissent le voir.

Des hourras transpercèrent l’atmosphère. Des sourires se dessinèrent.

-          C’est un attrapombre ! Il faut capturer l’ombre d’Akzorus avec cette arme, et lui et son armée seront détruits !

Le silence revint.

-          Mais, je vous rassure ! Notre équipe prendra la route prochainement pour réussir cette mission.

De nouveaux hourras et des cris de liesse s’élevèrent de l’assemblée.Une fête fut improvisée. Line et Anaëlle s’approchèrent de la reine.

-          Majesté, nous devons prendre congé, car ma maman va s’inquiéter si elle ne nous voit pas revenir. Et si elle se rend compte de notre disparition, elle ne nous laissera plus repartir.

-          Allez-y. Lina, voici l’attrapombre. Prends-en soin.

-          Quand voulez-vous que l’on parte en mission ? demanda Ana, excitée.

-          Nous en discuterons avec l’Alliance. Cela dépendra des phénomènes naturels, de la lune…Nous interrogerons les astres. Eky vous tiendra au courant.

Les dernières semaines scolaires passèrent vite. Les filles étudiaient pour les examens de fin d’année et se téléphonaient pour se tenir au courant de l’évolution de la situation. Lina avait caché l’attrapombre dans l’un des meubles du grenier, certaine que personne ne viendrait le dérober et que Harrocco garderait un œil bienveillant sur ce précieux objet.Les examens terminés, Lina et Ana passèrent beaucoup de temps ensemble à flâner au parc, dans les bois ou encore dans les ruines du château.Parfois, elles retournaient à Héoliadenn saluer leurs amis Cyriaque et Ombeline qui ne venaient plus que de temps en temps dans le monde des humains.Lina pensait souvent à Blue et Ombeline. Ils lui manquaient sincèrement. Elle n’avait plus de compagnie le soir pour s’endormir ni personne pour l’encourager. Mais, paradoxalement, elle était enchantée pour eux, car ils étaient ravis de retrouver leurs foyers. Surtout Cyriaque qui vivait à présent avec sa petite lutine.Parfois Lina et Anaëlle étaient rejointes par Maxime qui faisait rougir Lina quand elles allaient manger une glace avec lui à la Mandarine.

 Les filles avaient décidé de piéger Mart’ et ses amies. Elles l’avaient bien mérité après tout, avec toutes leurs attaques verbales.

C’est le dernier jeudi de l’année qu’elles décidèrent de mettre leur plan à exécution. Ce jeudi-là, les élèves devaient revenir à l’école pour une ultime journée sportive. Il faisait chaud et les tenues légères étaient les bienvenues. La journée était consacrée à une course au trésor par équipes, ce qui faisait s’esclaffer Lina et Anaëlle.

Elles faisaient équipe avec Maxime et Nicolas, un autre garçon de leur classe ainsi qu’une fille avec qui Anaëlle était au cours de néerlandais, Mireille. Leur équipe fut classée parmi le trio de tête, il faut dire qu’ils s’étaient démenés et étaient rouges de sueur.

C’est à la fin de la journée qu’Ana et Lina avaient décidé d’attaquer. Elles attendirent que tous les élèves quittent la classe après être venus rechercher leurs sacs et objets personnels. Elles voulaient être sûres d’être seules avec Mart’ et son trio de choc.

-          Dites, les filles, commença Lina.

-          Tu oses me parler, toi ?

-          Oui, pardon, votre royauté Martine. Je peux oser vous parler ?

-          Vas-y, fit l’intéressée, dédaigneuse.

-          Je voulais vous demander, continua Lina en pinçant ses mots, si vous me preniez toujours pour une sorcière, puisque j’ai été classée plus haut que vous dans les épreuves physiques ?

-          Une sorcière aurait gagné !

-          Sauf si elle ne veut pas éveiller les soupçons et œuvrer en cachette pour répandre le mal dans la classe, dit Lina en prenant une voix d’outre-tombe qui fit pouffer Anaëlle.

-          Tu crois que tu me fais peur, dit Martine en reculant.

-          Par la magie qui opère en moi, je peux te dire que tu as complètement raté ton examen de géographie !

-          Tu mens !

-          A toi de voir…

-          Tu commences à m’énerver sérieusement, attends voir que je t’attrape !

Martine commença à courir, pour attraper Lina, mais, elle tomba lourdement sur le sol de la classe, entrainant toutes ses copines dans sa chute… Pendant que Lina lui parlait avec tant de vigueur, Luminille avait attaché délicatement tous les lacets de Martine et de ses copines ensemble.En sortant, suivie d’Anaëlle, Lina crut entendre des bribes d’insultes et de « c’est impossible ! » ou de « comment a-t-elle pu ! ».

-          Comment sais-tu qu’elle a raté son examen ?

-          Elle était devant moi, je pouvais voir toute sa feuille, et je te garantis qu’elle n’avait pas beaucoup de bonnes réponses… j’ai un peu brodé, c’est tout !

Elles se séparèrent en riant, se fixant rendez-vous au lendemain, le jour de la remise des bulletins.C’est ce jour-là qu’Eky frappa à la fenêtre, tandis que Lina sortait de sa douche.

-          L’Alliance s’est réunie et a décrété que vous devrez vous rendre dans la Terre des Akzors avant le sostice d’hiver.

-          Pas de problème. Quand est-ce ?

-          Le 21 décembre de votre calendrier. Le voyage durera un mois.

-          Un mois ?

-          Oui.

-          Et comment je fais, si je dois m’absenter ? Quelle excuse dois-je donner à maman et aux autres ?

-          Je n’ai pas réponse à tout, jeune fille !

-          Merci !

Lina se tracassait profondément lorsque Blue sauta sur son lit, suivi d’Ombeline. Elle les serra contre son cœur.

-          Vous m’avez manqué !

-          Toi aussi, tu nous manques, dit Blue. On reste avec toi.

-          Mais, Blue, ta lutine ?

-          Elle viendra parfois me rendre visite, ou bien j’irai la voir. Mais notre vie est ici, à tes côtés, à présent.

Ombeline acquiesçait et Lina sentit des larmes au fond des yeux.Elle continua de s’habiller, puis rejoignit sa mère pour partir en direction de l’école.Arrivée à destination, Lina s’empressa de raconter son entrevue avec le minuscule à son amie. Ana était aussi effrayée que Lina.Mais elles n’eurent pas beaucoup de temps pour discuter, leur titulaire les appelait nominativement pour une entrevue de dix minutes.Lina fut l’une des premières à entrer dans la classe avec sa mère.Elles en sortirent enchantées, Lina ayant réussi toutes ses matières avec une moyenne de 84.5 %. L’occasion pour Lina de triompher devant Martine… Claire sourit jaune aux parents de Martine avant d’éclater de rire dès qu’elles eurent tourné les talons.Quelques minutes plus tard, Anaëlle rejoignit Lina:

-          Je pars demain en vacances avec ma famille. On se verra dans quinze jours… profites-en pour aller voir Anastase. Il sera content que tu lui racontes tout, et il aura certainement des astuces.

-          Ok. Tu vas me manquer. Amuse-toi bien…

-          Compte sur moi.

Anaëlle partit vite et Lina resta seule avec sa maman.

-          Tu viens, ma belle ?

-          Où ça ?

-          Je pensais qu’on pourrait passer à la boutique de lingerie du carrefour…

Lina sauta au cou de sa mère. Elle avait grandi et mûri. Jamais elle n’avait passé une si bonne année scolaire. Celle qui arrivait s’annonçait tout aussi passionnante. Elle n’était qu’une demi-fée, et devait certes en apprendre encore beaucoup pour être à la hauteur, mais elle trouvait qu’elle ne s’était pas si mal débrouillée.Le lendemain, elle irait voir Anastase et lui raconterait tout…Peut-être qu’elle utiliserait aussi le philtre d’amour… sur Maxime, évidemment. Elle devait réfléchir. Ou peut-être, devait-elle simplement lui parler. Quel casse-tête d’être une fille de 13 ans !

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